XXXII ● Je ne peux plus vivre comme ça.

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Quand Louis reprit conscience, il n'était plus à l'hôpital. Sa tête était calme et silencieuse. Il était de retour dans son petit monde.

Allongé dans la poussière, il n'osait pas ouvrir les yeux. C'était la première fois qu'il revenait ici après l'incendie. La peur lui tenaillait l'estomac. Il avait peur que le soleil ne fût pas revenu briller, peur que sa forêt fût plongée dans une nuit éternelle.

Il inspira profondément et prit son courage à deux mains pour regarder autour de lui. S'il n'avait pas réussi à protéger son havre de paix, il devait en assumer pleinement les conséquences.

Ses paupières s'ouvrirent sur un ciel azurin, d'un bleu pur et sans défaut. Aucun nuage. Il ne voyait rien d'autre qu'un bleu uniforme et cristallin. Louis sourit. Le soleil était là, il sentait ses doux rayons sur son corps. Tout allait pour le mieux.

Alors qu'il observait d'un regard plein d'amour ce ciel si clair, il jouait avec la poussière qui recouvrait le sol. La sensation lui rappelait celle du sable fin qui glissait entre ses doigts. Ces journées à la plage avec Maman et Christophe lui manquaient. Mais si le soleil était revenu, alors il pourrait espérer retourner un jour à la plage.

Un grain de poussière qui flottait doucement dans l'air atterrit dans son œil. Il leva les mains pour l'en dégager, mais son sang se glaça soudainement dans ses veines. Ses bras restèrent suspendus en l'air devant son visage. La température avait brusquement chuté de plusieurs degrés autour de lui, le bleu du ciel devint glacé. Le soleil brillait toujours, mais il était désormais aussi froid que de la pierre. Il n'apportait plus qu'une pâle et austère lumière. Plus de chaleur, plus de réconfort. Devant ses yeux, les paumes de ses mains étaient noires.

Louis se mit rapidement à genoux et plongea ses mains dans ce qu'il avait en premier lieu pris pour de la poussière. La terre de sa forêt était recouverte d'une épaisse couche de cendres. Des cendres noires et sinistres.

Le temps ralentissait, s'allongeait. Lentement - beaucoup trop lentement à son goût -, il releva la tête. Il se trouvait au milieu d'une clairière. Il reconnaissait la clairière au bout du pré, celle qui était traversée par un fin ruisseau. Enfin, il la devinait plus qu'il ne la reconnaissait. Les arbres tout autour de lui étaient noirs, calcinés des racines au bout des branches. Il ne subsistait plus d'eux que des silhouettes fantomatiques, leurs branches nues et brûlées tendues vers le ciel comme dans une ultime supplication. L'air était chargé de la pesante odeur de bois brûlé. Quand ses yeux se posèrent sur le cadavre encore fumant d'une biche, à quelques mètres à peine, il crut qu'il allait vomir. Il aurait même très certainement vomi si son estomac n'avait pas été vide depuis plusieurs jours.

Tout. Tout avait été réduit en cendres. Il n'y avait plus aucune trace de vie, nulle part. Il avait tout détruit. Il avait détruit le seul endroit où il se sentait à sa place. Le seul endroit où il se sentait bien. Le seul endroit où il aimait vivre. Il ne voyait pas Soragh, mais il sentait son oppressante présence à ses côtés. Elle cherchait à le pousser à bout. À lui montrer tout ce qu'il avait fait, ce qu'il avait fait de cet endroit dont il était responsable. À faire en sorte qu'il porte en lui toute la culpabilité d'avoir mis à feu et à sang son havre de paix. À genoux dans la suie, son hurlement déchira le ciel.

Un contact soudain sur son épaule le fit sursauter. Maman se tenait face à lui. Ses mains étaient propres, l'air sentait le produit désinfectant.

- Louis ? Lou, ça va ?

Maman avait l'air plus inquiète que jamais. Louis devina qu'il n'avait pas seulement crié dans sa tête.

- N-Non, balbutia-t-il.

Anxieux, il fit le tour de la pièce du regard. Sa chambre, à l'hôpital. À l'exception de Maman et lui, elle était vide. Alexandre était parti ; Louis s'en sentit soulagé. Il n'aurait pas à affronter son regard, à la fois accusateur et empli de pitié. Les voix aussi étaient parties. Pour combien de temps, il ne pouvait le savoir. Mais pour le moment, il était en tête à tête avec Maman. Il pouvait parler comme bon lui semblait.

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