XIX ● Il chutait jusqu'aux Enfers.

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Louis avait envie de mourir. Une lâche et fulgurante envie de crever, de tout envoyer en l'air, de tout abandonner.

C'est tout ce qui t'attend, de toute façon.
Une mort lente et douloureuse.
Petit à petit.
Jour après jour.

Claire et lui venaient de remonter de leur petite promenade dans le parc de l'hôpital, mais les quelques bienfaits que cette sortie lui avait procurés étaient bien vite partis en fumée. La porte de sa chambre se referma sans bruit derrière Claire, le verrou claqua. Son masque tomba aussitôt et il s'effondra de tout son poids sur son lit. Il se blottit contre le mur. Des larmes brûlantes se mirent à couler le long de ses joues.

Tu sais très bien ce qui ne va pas chez toi, Louis.
Tu es si faible.
Fragile.
Incapable.
Assisté.
Tu te rends compte un peu ?
Tu es incapable de parler aux autres.
Tu es incapable de te regarder dans un miroir.
Tu es incapable de prendre soin de toi seul.
Tu es incapable d'agir comme une personne normale pendant plus de trois heures.
Dès que tu es seul, tu craques.
Tu t'effondres.
Faible.

Agir comme une personne normale. Il s'efforçait de le faire, pourtant. Il faisait tout pour paraître paisible, de l'extérieur. Il avait bien compris qu'il n'y avait que comme cela qu'il pourrait sortir de l'hôpital. C'était la seule solution pour rentrer à la maison : s'il ne pouvait pas vraiment aller mieux, il devait au moins le feindre. Si les médecins croyaient à ses mensonges, ils le laisseraient rentrer. Ils le laisseraient partir.

Mais elles n'arrêtaient plus, les voix. Depuis plusieurs jours, elles ne le laissaient plus tranquille une seule minute. Il arrivait même qu'elles le réveillassent en pleine nuit. Il n'avait plus un seul moment pour lui, elles l'assaillaient constamment de tous les côtés.

Il ne parvenait même plus à se concentrer assez pour s'évader loin de l'hôpital, désormais. Les voix lui interdisaient l'accès à son havre de paix. Le stress et l'angoisse étaient trop forts dans son cœur et semblaient le bloquer dans cette affreuse réalité, le consumer de l'intérieur.

Oui, consumer. C'est le terme.
Tu meurs à petit feu.
Comme une bougie qui fond.
Comme une forêt qui brûle.

Louis ferma les yeux et pressa ses mains de chaque côté de sa tête dans un ultime espoir de boucher ses oreilles. Mais elles venaient de l'intérieur de sa tête. Elles étaient omniprésentes, elles criaient, hurlaient de rire ou de colère. Impossible de les ignorer. Impossible de les calmer. Impossible de les arrêter.

Toujours là.
Tu sais très bien que nous ne te quitterons pas.
Jamais.
Nous ne te quitterons jamais...

Il avait l'impression de ne plus rien contrôler. Il tremblait. Son corps était parcouru de lourds et douloureux sanglots. Comme des spasmes. Comme s'il était en transe. Ses muscles se contractaient, les uns après les autres, ses mouvements échappaient à toute maîtrise. Et dans son esprit régnait une guerre civile permanente. Sans merci. Aucune trêve. Une fureur telle que sa tête tournait, ses oreilles sifflaient, ses yeux brûlaient. Une fureur qui enflait, seconde après seconde, minute après minute, enflait tant qu'il avait l'impression que son crâne allait exploser sous la pression.

Il savait qu'il était allongé sur son lit, au calme dans sa chambre, et pourtant il se sentit soudainement tomber. Une terrible sensation emplit sa poitrine. Enveloppé dans un noir complet, il dégringolait, happé par le vide. Les voix, elles, s'atténuaient, comme si elles étaient restées bloquées en surface, tandis qu'il chutait jusqu'aux Enfers.

Puis il y eut l'impact, sans douleur. La dernière image qui occupa son esprit fut celle d'une immense ramure de bois sombre,
(Soragh, Soragh est là)
et ensuite un calme plat. Plus rien que l'obscurité totale et le pesant silence de l'inconscience.

- ○ -

Un bruit sourd résonna dans la tête de Louis, le faisant sursauter. Le monde redevint immédiatement clair. Il était assis sur le sol froid de la chambre, au pied de son lit, le dos appuyé contre le mur. Un fin rayon de soleil dessinait un cercle doré autour de lui.

Il laissa glisser ses pieds pour allonger ses jambes. Il frotta ses yeux et promena son regard autour de lui. La lumière du jour se reflétait sur des milliers de petits flocons blancs. Louis en saisit un entre ses doigts. Du papier. Il prit un autre morceau, et un autre encore. Et il comprit. C'était un dessin.

C'était.

Le dessin que la fille lui avait fait et offert la veille, ou le jour d'avant, il ne se souvenait plus exactement. Emelyn, la fille de l'hôpital qui venait le voir de temps en temps, qui aimait passer du temps avec lui. Il rassembla les différents morceaux, essaya d'en reconstituer l'image. Cette image, elle était bien claire dans sa tête.

Son visage. Son visage, en plus beau. Son visage, moins fatigué. Son visage, sans cernes. Son visage, moins malade.

Mais il n'existait plus, maintenant, ce visage. Il était éparpillé tout autour de lui, en milliards de fragments blancs. Certains de ces fragments étaient colorés d'un gris charbonneux, d'autres teints de rouge.

Du sang.
Du... sang ?

Il regarda plus attentivement ses mains. Ses doigts étaient gonflés. Ses ongles cassés étaient rouges et sanglants. Ses phalanges violacées palpitaient au rythme effréné des battements de son cœur. Il essaya de les plier, mais c'était tellement douloureux qu'il abandonna vite.

Que s'est-il passé... ?

Un énorme trou noir s'ouvrait dans son esprit. Louis ne se souvenait de rien. Il s'était allongé dans son lit, avait glissé dans l'abîme noir, et c'était tout. Il ne se souvenait de rien d'autre.

– Louis ? Tu es là Lou ?

La porte de la pièce claqua. Il entendit des bruits de pas précipités, des talons claquant sur le sol.

– Louis ? Louis !

Il releva la tête, lentement. Maman était agenouillée devant lui. Elle le prit par les épaules et le secoua. Louis ferma les yeux. Sa tête le faisait affreusement souffrir. L'air se densifiait, formait un étau serré et étouffant autour de son crâne. Il devenait de plus en plus dur de respirer.

– Louis ! Reste avec moi, Lou...

Sa voix était chargée d'inquiétude. Il rouvrit difficilement ses paupières. L'une des mains de Maman se posa sur sa joue. Elle passa le bout de son pouce sur ses lèvres. Louis frissonna. Le contact était douloureux. À l'instar de ses doigts, ses lèvres devaient être tuméfiées.

– Ça va aller mon chat, ça va aller... Je te le promets...

Maman l'attira sur ses genoux, plaqua sa tête contre sa poitrine, l'entoura de ses bras. Elle se mit à le bercer, lentement, tout en murmurant une berceuse italienne qui se voulait apaisante.

Exactement comme lorsqu'il était enfant. La seule différence était que cette fois, il sentait des larmes lui mouiller les cheveux.

Mais au moins, les voix s'étaient tues.

- ○ -

Bonjour bonjour !
Comment allez-vous ce matin ?
Moi ça va uhu.

J'attends avec impatience vos ressentis à chaud sur ce chapitre. J'l'aime bien, celui-là. On arrive aux choses sérieuses ;)

Passez un bon weekend, et à la semaine prochaine ! xxx

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant