Chapitre 24 - Aller de l'avant

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18 décembre 2014, 12h36, Atelier du Père Noël.

— Bon sang de bon sang de bonsoir, pesta Charlie en piétinant dans la neige qui maculait l'entrée du hangar.

Il tira de toute ses forces sur la longe à laquelle il était cramponné, sans beaucoup de succès. Son échec lui fit maudire l'écharpe dans lequel reposait son bras droit, dont il aurait volontiers bénéficié de l'assistance, à cet instant-ci.

— Tu vas avancer, putain de canasson de mes deux ? beugla-t-il dans les oreilles du renne qui le regardait placidement, pas ému pour un sou par les obscénités que lui braillait l'humain depuis une demi-lieue.

Lorsque Charlie ouvrit la porte de l'Atelier, après être enfin parvenu à faire rentrer le cervidé dans sa stalle, il fut accueilli par un concert de protestations face au courant d'air qu'il amenait avec lui. Se retenant d'y répondre par un doigt d'honneur, il referma obligeamment la porte et secoua la neige qui s'était accumulée dans sa barbe et dans ses cheveux.

— C'est bon, j'ai retrouvé Rudolph, annonça-t-il à la ronde. M'a donné du fil à retordre, le salopiaud, mais j'ai fini par voir le nez rouge de ce con s'allumer au milieu de la banquise... un vrai phare, je comprends pas comment il a réussi à rester planquer aussi longtemps. Enfin, bref. Les neufs rennes sont au complet, chef, vous pourrez faire votre tournée, conclut-il en lançant une mimique de salut militaire en direction de son père.

Ce dernier, le nez plongé dans une immense carte, se contenta de grogner son assentiment sans lever les yeux.

Malgré sa blessure et le repos forcé auquel avait voulu l'assigner sa famille, Charlie avait insisté pour partir à la chasse au renne. Il avait eu besoin de prendre l'air. Rester enfermé dans ces sous-sols à tourner en rond, alors que tout le monde s'y agitait dans un branle-bas de combat des plus éreintants, aurait juste réussi à le rendre complètement dingue.

Avec un sourire, il passa devant Victorine et lui envoya un clin d'œil, perchée qu'elle était tout en haut de la hotte. Sa sœur, concentrée sur la longue liste qu'elle avait dans les doigts, lui renvoya un salut de la main distrait en le regardant à peine. À l'aide des quelques lutins qu'ils avaient retrouvés, terrés et tremblants dans des coffres au fond de l'Atelier, elle disposait précautionneusement les cadeaux à l'intérieur du grand sac. D'autres elfes, restés au sol, apportaient les finitions aux clinquants paquets, les constellant de rubans et de paillettes à en faire pleurer les rétines les plus résistantes.

Charlie sentit une pointe d'amertume le piquer à ce spectacle. Les lutins avaient été si nombreux, autrefois, des escouades entières de petites créatures qui couraient frénétiquement en tous sens. Aujourd'hui, ils n'étaient plus qu'une maigre poignée, quelques rescapés d'un massacre que le jeune homme ne pardonnerait jamais. Il crispa les poings et passa son chemin.

Au fond de la grande salle où toute l'équipe de Noël réduite s'affairait, Nans et Léo avaient investi les ordinateurs. Une vieille unité centrale ronronnait doucement aux côtés du plus âgé, qui compulsait la grande archive de toutes les lettres qui leur avaient été envoyées, checkant consciencieusement chaque item en une ultime vérification. Assis en tailleur par terre, Léo était penché sur un portable un peu plus moderne, son œil habillé de l'habituelle lueur ardente – presque démoniaque – qu'il avait lorsqu'il était aux prises avec une énigme informatique digne de son intellect. Charlie n'osa pas jeter un œil au charabia de lignes de code qui défilaient sûrement sur son écran, mais il savait que le blond recalibrait l'immense algorithme permettant au Père Noël de gérer sa tournée en temps réel, le jour fatidique venu.

Dépoussiérer leurs techniques ancestrales ne ferait pas de mal, avait affirmé le garçon.

Finalement, Charlie arrêta son chemin auprès du traîneau en bois qui reposait sur cales, au fond de la pièce que l'on avait aménagé d'un semblant d'établi pour le transformer en coin bricolage. Le véhicule était très sobre, taillé dans un bois sombre à peine poncé, dépourvu des ornements ou de la majesté qui ornaient son prédécesseur. L'engin n'était pas non plus motorisé : cette année, le Père Noël effectuerait un retour aux sources et ne pourrait compter que sur ses rennes, sans assistance technologique.

From Christmas with LoveWhere stories live. Discover now