Chapitre 11 - La fille aux tournesols

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7 décembre 2014, 8h27, Pôle Nord.

Les Claus retinrent prudemment leur respiration, les muscles tendus et le corps immobile. Le temps sembla se suspendre au cours de cette seconde d'affolement gelé, mais leur entraînement reprit le dessus et ils tentèrent de s'empêcher au mieux de paniquer.

Le regard de Charlie croisa celui de Judith. Les deux frangins purent lire exactement la même expression sur le visage de l'autre : l'envie de dire quelque chose, la peur que le moindre bruit n'alerte les ombres à proximité. Pourtant, Dieu savait que Charlie aurait eu besoin de Judith. De son avis, de ses idées, de son jugement, de l'éclat de détermination implacable si rassurant qui brillait dans ses yeux, ou même simplement de ses disputes puériles qui lui auraient permis d'évacuer la tension. Privé du soutien de sa sœur, l'aîné remonta le corps de Nans sur ses épaules et essaya de faire fonctionner son cerveau, que le désespoir commençait petit à petit à engourdir.

— Charlie, murmura son frère contre son oreille, à peine plus qu'un bruissement.

Son ton groggy laissait entendre qu'il venait à peine de regagner les berges de la conscience. Charlie resserra sa main autour de la jambe du jeune homme, pour témoigner de sa présence.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? souffla Nans.

Charlie ne sut si c'était la voix perdue de son frère, le pincement au cœur qu'il ressentit en songeant à tout ce que son cadet subissait depuis cinq jours, l'idée de ce qui adviendrait de sa famille s'il ne faisait rien ou un heureux concours de circonstances, mais il eut un brusque déclic.

Il savait comment traverser la barricade d'ombres. Il existait un moyen. Hautement risqué, mais un moyen quand même.

Ne restait qu'à savoir s'il avait le cran de le tenter.



7 décembre 2014, 8h34, Pôle Nord.

Une faille entre deux rochers – à peine plus qu'une écorchure. Il fallait savoir que la rainure existait pour la repérer ; autrement, lorsque l'on regardait la muraille rocheuse qui se dressait au milieu de la toundra, on ne distinguait qu'une longue estafilade noire qui semblait ouvrir sur un cul-de-sac.

Charlie et Nans Claus connaissaient l'existence de ce passage, aussi leur œil entraîné repéra-t-il immédiatement la fissure. Cependant, ils n'y avaient jamais mis les pieds : si leur père leur avait montré l'entrée du raccourci, il en avait parlé avec cet air de mauvais augure qui les avait convaincus de se tenir à distance. Les mots qu'il avait prononcés, ensuite, avaient achevé de persuader les frères Claus. « N'empruntez la Voie qu'en dernier recours ».

Aussi lorsque Nans, mollement accroché aux épaules de son aîné, vit ce dernier s'arrêter juste devant le défilé, il sut que Charlie avait fini par céder au désespoir. Une scène à laquelle il n'avait encore jamais assisté, en vingt-huit ans. Un tremblement remonta son échine.

— La passe, murmura Charlie à ses cadets, accroupi derrière le dernier buisson qui persistait sur la steppe du Pôle. Vous la voyez ?

Ses quatre interlocuteurs hochèrent la tête. Nans se contenta de fixer ses yeux de smalt sur son frère, l'anxiété éclosant dans ses entrailles.

— Vous allez y courir – droit devant vous, sans vous arrêter. Dix mètres à parcourir sur lesquels vous serez complètement exposés : soyez rapides et soyez discrets. Une fois là-bas... je ne vais pas mentir, vous ne serez pas à l'abri, mais au moins les chances de se faire repérer par des ombres y seront un peu moins élevées. Compris ?

From Christmas with LoveWhere stories live. Discover now