Chapitre 2 - Retrouvailles

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3 décembre 2014, 15h39, maison du Père Noël.

Le temps que Judith dut passer à trépigner impatiemment sur le perron fut le temps que prit Nathan à fouiller les sept poches de sa parka. Évidemment, les clefs de la maison se trouvaient dans la dernière.

Sentant son irritabilité croître à vitesse grand V, la jeune femme faillit lui grogner de se magner un peu le derrière, mais quelque chose la retint. À dire vrai, elle n'aurait su déterminer si elle avait hâte, ou au contraire aucune envie qu'il n'ouvre cette porte. Certes, elle aurait beaucoup donné pour pouvoir enfin retrouver la chaleur confortable d'un intérieur : on se gelait dans cette saleté de nuit polaire qui paraissait devenir, si c'était possible, de plus en plus noire et de plus en plus glaciale au fur et à mesure des heures. Danser nerveusement d'une jambe sur l'autre en se frottant les bras ne suffisait plus à tromper ses thermomètres internes. Elle était fatiguée, elle en avait plein les pattes, son dos lui reprochait douloureusement les heures interminables qu'elle avait passées dans l'avion, sur la motoneige puis dans le traîneau tiré par un attelage de huskys, et elle souhaitait juste se laisser tomber dans un fauteuil pour pioncer jusqu'au lendemain.

Mais si elle entrait, elle devrait faire face à tout ce qu'elle avait abandonné sans un regard en arrière, sept ans auparavant.

Nathan dénicha finalement ses clefs, se battit encore un instant pour réussir à les introduire dans la serrure - les énormes moufles qui recouvraient ses mains n'étaient pas les plus adaptées pour les travaux de précision - puis poussa le battant de la porte. Une vague de chaleur et de lumière orange les engouffra, alors que quelques traînées de neige poussées par le vent s'échouaient dans l'entrée de la demeure. Judith emboîta le pas à son frère, le visage figé dans l'impassibilité la plus neutre qu'elle était parvenue à imiter pour tenter de masquer sa nervosité.

Les souvenirs remontèrent avec une vivacité impressionnante tandis qu'elle se tenait là, au milieu du grand salon des Claus, à ôter lentement sa couche de manteaux et d'écharpes devenue superficielle. Les lieux n'avaient pas changé. Des meubles en bois au verni usé, aux décorations de Noël fanées pendues aux murs les trois-cents soixante-cinq jours de l'année parce qu'on avait la paresse de les ôter après les fêtes, en passant par les plaids aux motifs passés de mode depuis quatre siècles qui recouvraient les fauteuils : Judith eut l'impression de se retrouver propulsée sept ans en arrière, à l'exact moment où elle avait claqué la porte.

Sept ans, bon Dieu. Comment pouvait-on être engoncé dans ses petites habitudes au point de ne pas modifier un détail de son décor en sept ans ? Cet endroit avait toujours paru hors du temps, mais la jeune femme se demandait comment une telle constance ne devenait pas lassante à la longue.

Elle fut toutefois rapidement arrachée à ses observations mobilières : au fond de la pièce, à l'endroit où le long bureau en chêne massif accueillait une quantité assez faramineuse de matériel informatique, le haut fauteuil de ministre pivota et révéla la figure peu amène de Charlie.

Grand, rasé de près, cheveux bruns toujours arrangés de la même manière - dans une coiffure sans fantaisie absolument ennuyeuse -, traits à l'empreinte un peu galbée héritée de leur père, sourires rares, yeux sceptiques et acérés : à l'instar du vaste salon des Claus, le frère aîné de Judith restait fidèle à lui-même. Il devait aller sur ses trente ans, maintenant. Quelques nouvelles rides soucieuses étaient apparues sur ses paupières et son front. La jeune femme songea, sans savoir si c'était la mesquinerie ou la tristesse qui la faisait parler, que le rude boulot que devait lui demander la gestion de l'entreprise familiale ne lui allait vraiment pas au teint.

Le frère et la sœur s'affrontèrent un instant du regard. Judith soutint celui de son aîné avec défi, consciente qu'il tentait de lire ses intentions dans ses prunelles, mais il était hors de question qu'elle ne cède le moindre terrain avant lui.

From Christmas with LoveWhere stories live. Discover now