Prologue : La dernière fille debout contre le mur

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— Marina.

Je ne peux m'empêcher de me balancer d'un pied sur l'autre. Je jette un regard à la ronde. Nous ne sommes plus qu'une dizaine à nous tenir contre le mur, attendant patiemment que notre nom retentisse. Une fille, la dénommée Marina, s'avance et va rejoindre l'élève qui l'a appelée. C'est au tour de l'autre capitaine de choisir quelqu'un. Je baisse les yeux et me mets à fixer mes chaussures, gênée à l'idée que les autres entendent mon cœur battre si fort. C'est idiot : je sais bien que je ne serai pas choisie cette fois, pas par cet imbécile de Karim. Je ne le suis jamais. Mais c'est plus fort que moi, je ne parviens pas à étouffer ce petit espoir.

— Quentin !

Sourire en coin du concerné, et celui-ci s'empresse de trottiner en direction de Karim. Je parviens à réprimer un soupir. Je lève discrètement les yeux. Plus que huit. Cette fois-ci, tous les sportifs ont été choisis. Le vrai calvaire s'apprête à commencer : le moment où les deux capitaines hésitent, mal à l'aise, se jetant des regards dépités, ne sachant lequel de ces boulets vaut mieux que les autres, se concertant avec ses amis pour faire le bon choix (ou, plutôt, le moins catastrophique).

Je suis toujours choisie dans les derniers. C'est comme ça : ce genre de répartition d'équipes se fait selon deux critères. La compétence et la popularité. Je n'ai ni l'un ni l'autre. Et je reste là, à faire le piquet, louchant sur mes baskets, en sachant que mon nom ne retentira qu'en dernier.

Je me suis toujours demandée pourquoi les profs de sport raffolent autant de ce mode de sélection. Sérieusement, qu'est-ce qui peut bien leur passer par la tête ? Quel plaisir éprouvent-ils à nous humilier comme ça ? Comme si on ne l'était pas déjà bien assez en venant en cours d'EPS* ! Hého monsieur, je sais très bien que je suis nulle en sport, pas besoin de me le rappeler à chaque séance ! Franchement, si vous voulez mon avis, cette façon de former les équipes devrait être interdite par la loi. Passible de prison. Punie de peine de mort.

Tandis que je torture - mentalement - mon prof de la plus sadique des manières, la sélection continue. Nous ne sommes plus que trois désormais. Trois filles. Tricia, l'intello agaçante surnommée « la balance » après être allée raconter à la CPE* que des gars de la classe se planquaient pour fumer (autre chose que du tabac) pendant les intercours ; Sarah, une grosse (enfin, plus que moi quoi) fille effacée ; et moi, la petite binoclarde en léger surpoids et pas très habile avec son corps. Au vu de mes concurrentes, je me dis que j'ai peut-être une chance de ne pas finir dernière, cette fois.

— Sarah.

Et voilà que même les grosses (enfin, plus que moi) passent avant, désormais. C'est dire à quel point je suis impopulaire. Contrairement à Tricia, je n'ai rien fait pour mériter ça... A la réflexion, je n'ai rien fait pour être appréciée non plus. En fait, je crois que je n'ai rien fait du tout depuis le début de l'année, et c'est sans doute ça le problème. Peut-être vaut-il mieux être une balance qu'une fille timide.

Je jette un regard en coin à Tricia, voulant lui adresser un petit sourire de complicité, comme pour s'auto-consoler. Après tout, nous sommes dans la même galère. Mais celle-ci me lance un regard glacial, dédaigneux. C'est que dans sa tête, à ce moment-là, nous sommes rivales, vous comprenez ? Toute trace d'humanité, d'empathie ou de compassion a disparu de son esprit. Tout ce qui compte pour elle, et pour moi aussi, d'une certaine manière, c'est de ne pas être la dernière conne à rester plantée contre le mur, choisie par défaut, à contrecœur. Surtout ne pas être la dernière. Ou tout le monde saura, ils sauront tous à quel point ils ne m'aiment pas.

— Tricia.

Le nom retentit, tranchant, comme une sentence impitoyable : en cette première semaine de novembre, dans la classe de 2nd3 du lycée Charles de Secondat, c'est moi, Nathalie Trombière, quinze ans dans deux mois, qui suis la fille la moins appréciée de la classe. Enfin, pour être honnête, je ne peux pas vraiment en vouloir à mes camarades : c'est vrai que je ne suis pas une fille particulièrement intéressante.

Vous êtes-vous déjà imaginé être un héros de fiction ? Le personnage principal d'un livre, d'un film, d'une série, ou encore d'une bande dessinée ? Parfois, ça m'arrive. Je m'imagine fille cachée du seigneur d'un pays lointain. Mais je n'ai pas été adoptée. J'attends une lettre m'annonçant que je vais désormais étudier dans une école de sorciers. Mais elle n'est jamais arrivée. J'aimerais que Morgan Hawkins, le beau gosse du lycée, s'aperçoive soudainement de mon existence, et qu'alors, foudroyé par mon flagrant manque de beauté, et impressionné par ma remarquable insipidité, il me trouve à son goût. Mais ne rêvez pas trop : Morgan Hawkins n'en a rien à carrer d'une fille comme moi (et, dans un sens, c'est tout à son honneur).

A vrai dire, cela fait des années que j'attends de voir débarquer l'élément perturbateur de ma vie, ce truc, peu importe quoi, qui va bousculer mon existence et la rendre plus intéressante. Mais il semblerait que ma situation initiale ne soit pas près de décoller. Car je n'ai rien de spécial. Pourtant, c'est pas faute d'avoir cherché. Une fois, j'ai fait le test. Je me suis longuement contemplée dans le miroir. Et j'ai cherché ce quelque chose, n'importe quoi, qui me ferait me distinguer des autres. Qui me rendrait unique. Ce petit rien qui ferait peut-être de moi une héroïne digne de ce nom. Mais je ne l'ai pas trouvé. Car la vérité, c'est que je suis, simplement et tristement...

Banale !

Banale !Where stories live. Discover now