Marbré

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Le trajet en métro lui semblait interminable. Les gens se bousculaient sans cesse, les hommes d'affaires encombraient le passage de leurs mallettes et parlaient forts dans leurs téléphones comme s'ils étaient seuls au monde, les enfants braillaient, courraient dans tous les sens sous les regards las mais silencieux des parents dépassés par la situation et ; au milieu de toute cette agitation, Yoongi se collait à la barre centrale faite de métal du véhicule, deux lourds cartons encore tièdes dans les bras. Le pâtissier avait l'impression d'étouffer, entouré de tant de monde. Il n'avait jamais aimé la foule, qu'elle soit constituée d'une dizaine comme d'une centaine de personnes. Il se sentait toujours dépassé, à part de tous ces gens qui, en apparence, se ressemblaient tous. Parfois, lorsqu'il y avait vraiment trop de clients patientant en file dans la boutique, il partait se réfugier à l'arrière, ou dans la salle de pause pour reprendre son souffle. L'école avait toujours été un supplice. Trente gamins enfermés dans une seule et même petite pièce, respirant le même oxygène et copiant inlassablement ce que dictait le professeur, dans le silence le plus total. Lorsque les murmures venaient à rompre cette quiétude imposée, c'était dans ses souvenirs bien pire. Sincèrement, Yoongi gardait de très mauvais souvenirs de sa scolarité, pour le peu de temps qu'elle avait duré. Les médecins appelaient cela de l'agoraphobie, mais lui préférait ne pas y donner de nom. Les mots n'étaient rien d'autre que des étiquettes ; il les avait toujours détestés. La voix robotique du métro retenti et Yoongi, de sa main plus ou moins libre, s'accrocha un peu plus fermement à son appui. Il allait devoir descendre, au milieu de tous ces gens.

Sous le ciel ouvert de la ville, le jeune homme s'empressa de se mettre à l'écart des autres et ainsi tenter de calmer les pulsions douloureuses de son cœur. Les klaxons des voitures passants devant lui, la musique se rependant dans les rues en quittant les porches des petits commerce, et l'odeur entêtante de friture provenant du petit stand de rue ne faisait qu'alimenter son angoisse grandissante. Adossé à un muret sale, portant ses cartons à bout de bras, il ferma les yeux et tenta de se concentrer sur sa respiration. Se détendre devenait primordial, parce que son frère n'était pas là, et qu'il était par conséquent totalement seul. Seul face au monde, seul face à ses vieux et tenaces démons. L'impression écrasante d'être enfermé dans une toute petite boîte, sans issues, sans fenêtres, sans possibilités de s'en sortir le submergeait. Pourtant, il essayait de se dire qu'au-dessus de sa tête, ce n'était rien de plus que l'immensité d'un ciel bleu tirant lentement sur un orangé, et que tout autour de lui s'étendait un horizon sans fin. Il était libre, et non pas prisonnier de lui même. Quelques minutes qui lui semblèrent des heures s'écoulèrent, sans doute une demie heure tout au plus, avant qu'il ne parvienne à revenir à lui. Entre ses mains, les cartons avaient tout bonnement refroidi.

Passer la porte de l'école maternelle lui rappela de douloureux souvenirs. L'agencement de la salle de classe n'était pas le même, et les murs n'étaient pas de cette couleur jaune criard à lui en faire tourner la tête, ça ne sentait pas le désinfectant, mais qu'importe. Yoongi parvenait à se représenter là, petit, assit sur l'une de ces chaises microscopiques ; tenant son vieil ourson en peluche fermement contre son petit corps. Ce n'était pas vraiment des souvenirs, il était à l'époque bien trop jeune pour clairement enregistrer ce qui se passait tout autour de lui. Non, dans son esprit, c'était plus des flashs, des voix bien trop lointaines pour clairement les comprendre ; des images figées et axées sur un point précis, le reste était tout simplement flou. La solitude lui nouait l'estomac, serrait sa gorge alors que ses yeux se posaient sur l'espace de jeux, pleins de caisses en plastiques débordantes de petites voitures et autres dînettes pour bambins. L'esquisse d'un gamin assis par terre sur le tapis aux motifs de puzzles colorés s'imposa à lui. Dès son plus jeune âge, il avait été mis de côté, à part de la société et raillé de tous les côtés. Il se rappelait de la violence, la douleur de ces petites filles tirant sur ses cheveux bruns, lui arrachant divers cris et pleurs. Une main se posa sur son épaule, dévia sur ses clavicules avant d'enserrer son cou pour le tirer vers l'arrière. Ses jambes semblèrent se faire de coton ; et le pâtissier ne savait pas par quel miracle les cartons ne s'étaient pas encore retrouvés au sol.

𝙼𝚞𝚏𝚏𝚒𝚗Où les histoires vivent. Découvrez maintenant