4- Jamais sans un chrysanthème

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Assise en tailleur, Suzanne fixait pensivement l'album jauni par le temps qu'elle tenait entre ses mains. Effleurant la couverture poussiéreuse du bout de ses doigts, elle laissa échapper un soupire nostalgique. Regarder de vieilles photos n'allait pas arranger son cas.

Bercée par les rayons ambrés que projetait le soleil, ses souvenirs refaisaient surface un à un. Inconsciemment, la brunette se mit à se rappeler d'une ancienne dispute qu'ils avaient eue ensemble. Pourquoi avait-elle agi ainsi ? Pourquoi voulait-elle toujours avoir le dernier mot ? Un sentiment amer s'empara d'elle. La vie entre frère et sœur n'était pas toute rose. Cela, Suzanne était bien placée pour le savoir. Des embrouilles pour des raisons stupides, elle en avait largement créé dans sa jeunesse. Que cela soit pour les corvées, la nourriture ou bien même les jeux, les deux adolescents trouvaient toujours un prétexte pour se chamailler. Et, même si cela n'avait rien de bien méchant à l'époque, il s'agissait d'une chose qu'elle regrettait sincèrement aujourd'hui. Maintenant que son frère n'était plus, elle en payait les frais, prenant pleinement conscience de leurs idioties et de leurs mauvaises fois d'antan.

La jeune femme reposa les photographies et s'allongea sur le parquet froid du sol du grenier. Immobile, elle restait là, à faire le vide dans sa tête. Toutefois, une voix familière perturba le calme ambiant de la petite pièce :

« Suzanne, ça va être l'heure. Tu es prête ?

À l'encadrement de la porte se trouvait sa mère. Celle-ci était vêtue d'un habit similaire au sien ; un simple hanbok* noir que l'entreprise funéraire avait prêté pour l'occasion.

– Presque oemma (~maman), j'arrive ! »

La sœur de Jun se releva résignée puis se dirigea lentement vers la sortie. D'une main tremblante, elle défroissa les plies imaginaires de sa sombre tenue. Suzanne venait tout juste d'avoir vingt-et-un ans. Fruit de l'union entre l'Asie et de l'Occident, elle avait hérité du visage placide de son père et du teint de porcelaine de sa mère. Ses iris hazels aimaient observer les gens sans préavis et cherchaient à voir le meilleur en chacun. Cependant, cette vision un peu trop optimiste du monde qui l'entoure lui avait déjà porté préjudice. À plusieurs reprises on l'avait approchée, utilisée puis délaissée comme un vulgaire objet dont on aurait plus eu l'usage. Tout cela à cause d'une malheureuse confiance qu'elle accordait un peu trop facilement au premier venu. Une attitude qu'elle essayait en vain de corriger mais qui persistait malgré tous ses efforts.

Avançant en direction de la voiture, Suzanne tentait maladroitement de nouer sa chevelure nattée pour la cérémonie. À chaque pas qu'elle effectuait, son jupon noir se soulevait avec délicatesse, valsait au gré de ses mouvements puis retombait tel le dernier souffle d'un condamné. Madame Jeon qui avait remarqué sa fille se débattre avec le petit ruban du deuil se retourna et s'approcha d'elle. Son regard était ému. D'un geste de main délicat, elle caressa maternellement son visage, replaçant par la même occasion certaines mèches de sa chevelure brune derrière son oreille. Devait-elle la prendre dans ses bras ? Suzanne, qui avait compris l'intention de cette dernière, s'avança et l'enlaça d'un geste. Les larmes aux yeux, elle lui adressa un sourire reconnaissant. Ainsi, pour la vieille femme endeuillée, sa fille était belle. Belle à sa manière, malgré toute la tristesse qui voilait son regard. Belle, malgré la peine qui tordait l'expression de son visage. Tout cela parce que cette dernière se redressait et essayait d'agir normalement avec le sourire. Un sourire timide qu'elle adressait à ses parents comme pour les rassurer. Un sourire qui leur signifiait « ça va aller...»




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« Tout est complet ? »

À nos âmes perduesWhere stories live. Discover now