2- Le bureau des Prévisions

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Séoul, de nos jours.

Plongée dans son roman épistolaire, Suzanne pénétra silencieusement dans sa chambre. Alors que certains de ses cahiers étaient encore éparpillés à même le sol, la jeune femme les esquiva d'un pas habile avant de s'installer sur le rebord de sa fenêtre. À travers les fins voilages blancs, elle se mit à observer rêveusement les alentours.

En ce froid matin de novembre, quelques flocons de neige étaient tombés dans le paisible quartier. Ils avaient laissé sur le bitume et les toits des voitures un léger manteau blanc. Dehors, seul un petit groupe d'enfants se chamaillait dans la poudreuse. À la vue de la fillette qui tentait obstinément d'ensevelir son ami, l'étudiante ne put s'empêcher de sourire. Ils lui rappelaient son enfance et le bon temps qu'elle avait passé avec son frère.

Combien d'heures avaient-ils jouées dans le jardin de leur maison ?

Sûrement trop au goût de sa mère qui, à l'époque, ne cessait de la houspiller à cause de ses devoirs bâclés. Suzanne n'avait jamais été très scolaire comparé à son frère ainé. Même si cela s'était un peu arrangé avec l'âge, en particulier lors de son entrée au lycée puis à l'université, elle restait une élève quelconque malgré tout son sérieux.

Le regard de Suzanne revint se poser sur le petit garçon aux cris nasillards. Elle soupira de lassitude. Pourquoi les événements les plus insignifiants d'une vie prenaient une toute autre tournure quand il s'agissait des derniers ? Son sourire s'effaça au profil d'une mine triste. L'ancien temps était révolu. Et cela lui manquait affreusement. Ces moments de joies et de rires lui semblaient si lointain depuis que la maladie du plus âgé s'était immiscer dans leurs vies.




***




Dans les bureaux du Comité Général du Passage des Âmes, appelée plus couramment « C.G.P.A » par ses membres, une certaine agitation se faisait sentir. Depuis que le secteur des Prévisions avait envoyé une dépêche urgente aux deux autres bureaux dans la matinée, il régnait au sein du comité une grosse pagaille. En effet, un problème de transmission était survenu au niveau du dépôt de l'agence et avait ainsi engendré de magnifiques retards dignes de la SNCF !

Dans le couloir du gigantesque bâtiment, les deux faucheurs perdaient patience. Cela faisait plus de vingt minutes qu'ils attendaient devant le guichet, là où la longue queue aboutissait.

« Tout ça pour de simples petites enveloppes contenant les noms et les informations des prochains défunts ! » pesta Kim Sang-Chul, déjà irrité par son début de journée.

Les jambes brisées par le fait d'être restés aussi longtemps debout, le binôme se lamentait. La file avancait avec une lenteur exaspérante. Après encore un temps qui leur parut durer une éternité, leur tour arriva enfin.

« Bonjour Messieurs, quelle section ? demanda mécaniquement l'une des secrétaires s'occupant de l'accueil du bureau des Prévisions.

– Celui des Dernières Volontés.

– Je vois. Travail quotidien, je suppose. Identités s'il vous plaît ?

– Ok Woo Young accompagné de Kim Sang Chul, répondit le jeune homme.

– Bien, voici votre enveloppe. Bon courage.»

L'employée leur sourit poliment puis articula d'une voix forte : « Au suivant ! ». Les deux passeurs quittèrent alors la réception et se dirigèrent vers l'extérieur du bâtiment. Munis de leurs costumes habituels, composé simplement d'une paire de derbies, d'un pantalon foncé, d'un col-roulé et d'un long manteau noir, le duo avançait d'un pas décidé vers les lieux du futur drame. Seule une broche discrète accrochée à leurs vestes aiguillait leurs sombres tenues. Elle représentait un chrysanthème blanc et leur permettait, du moins quand celle-ci était portée, de disparaitre aux yeux des humains.

À nos âmes perduesWo Geschichten leben. Entdecke jetzt