Chapitre 1

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L’Adhan venait encore de résonner, incitant ainsi les croyants pour la prière commune. Pour la troisième fois de la journée, je viens encore de laisser passer l’heure de la prière. Ce péché est devenu mon quotidien depuis près d’une douzaine de jours et cela n’est guère dû à un problème de santé. Puisque mon père passe son temps à m’assommer de questions indésirables, j’ai donc choisi de profiter de cette belle saison d’hiver loin de lui, ici en Tunisie.

Depuis peu, je me réfugie seul, bien au chaud au creux des quatre murs qui délimitent mon espace. Je passe mes journées à admirer le bonhomme de neige ayant toujours un sourire scotché à son visage, un cache-col  bien enroulé à son cou et tombant sur son ventre tout rond, et des fois je le plains. Tout comme moi, lui aussi a son destin scellé, il est condamné à rester figé au sol pendant toute l’hiver. Néanmoins, il peut s’estimer heureux car une fois la saison du froid passée, il prendra congé de son tragique destin. Moi par contre, je ne le pourrai. Je suis enchainé à mon destin et je subis ses conséquences depuis déjà vingt-cinq ans.

Toutefois, il arrive que je jalouse aussi ce bonhomme de neige, en particulier lorsque ma blanche neige, vient lui changer son chapeau chaque jour. Blanche neige, c’est le surnom que j’ai donné à la femme qui fait battre mon cœur à  chaque fois qu’elle se retrouve dans mon champ de vision. Cela fait déjà plus de deux semaines que je suis ici en Tunisie et je n’ai manqué, même pas un seul jour, de poser mes yeux sur elle. Juste deux semaines ont suffi pour que les flèches de cupidon me transpercent  l’enveloppe charnelle. Moi qui n’étais jamais tombé amoureux, me voilà maintenant entièrement épris d’une femme. Si mon père voyait celà, pensais-je en tirant mes lèvres en un rictus.

Je connais son itinéraire de chaque jour aussi bien que je connais mon prénom. Chaque matin aux environs de huit heures, elle sort de chez elle et passe devant
ma vaste fenêtre en petits foulés sans se rendre compte de ma petite personne qui ne fait que la dévorer du regard. Elle a une couleur semblable à celle du caramel et lorsqu’elle laisse les quelques rares fois, sa longue chevelure à la couleur éburnée de l’ivoire cascadée sur son dos, elle s’approprie aussitôt l’apparence d’une poupée Barbie. C’est après sa foulée, qu’elle revient chaque soir, aux environs de seize heures, changer le chapeau du bonhomme de neige. Elle semble être attachée à ce bonhomme de neige. C’est cela mon point de vue, puisque je la vois faire plusieurs  aller-retour dans la petite rue dans la journée juste pour lui changer son chapeau.

Pauvre de moi, mon père me tuerait si seulement il était au courant de cette activité à laquelle je me livre chaque jour et pendant plus de dix-huit heures.

- Que me veux-tu encore Mehdi ? Grondais-je mon frère au téléphone.

-Je suppose que tu es encore scotché à ta fenêtre, s’égosille Mehdi espérant me provoquer.

Je le calcule pas et je lui raccroche au nez. Il a toujours été orchidoclaste et je suis déjà habitué à ses fausses vannes. Il n’a plus la capacité de m’atteindre. 

Quoique  d’ordinaire, j’ai continué à me placer auprès de ma fenêtre chaque matin aux environs de huit. Cela fait déjà près de trois jours que je n’ai plus vu la femme blanche neige, aurait-elle changé de parcours ? Serait-elle tombée malade ? Ou simplement qu’elle s’est maintenant métamorphosée à la belle aux bois dormante. J’ai bien étudié l’histoire, et si je m’en rappelle bien, la belle au bois dormante a été réveillée de son long sommeil par le baiser d’un prince charmant, et moi j’ai tout d’un prince. Aussi lourde que puisse être cette charge, je suis quand même le fils d’un émir et un jour je serai aussi un émir.

De plus le terme « charmant » ne pose pas de problème. Je vois bien comment les femmes rougissent chaque fois que je leur dis bonjour. Cela confirme bien que j’ai du physique, donc je suis l’homme le mieux qualifié pour être le prince charmant qui viendrait la réveiller de son long sommeil avec un baiser langoureux. Plongé dans mes pensées, je vois la blanche neige passer de nouveau en petites foulées devant ma fenêtre. La revoilà partir en petites foulées comme à son habitude, et moi qui me faisais déjà des idées. Que c’est drôle, j’ai même osé penser l’embrasser, comme si j’aurais pu le faire. Bien sûr que je l’aurais fait si simplement il s’agissait d’une autre femme, mais quant à elle, je ressens une certaine pudeur qui m’était jusque-là inconnue et qui m’empêche d’éprouver des envies démesurées à son égard.

Plus de deux semaines déjà que je reste cacher derrière ma fenêtre à l’observer, de peur qu’elle ne m’envoie vaciller. J’ai horreur du rejet. C’est décidé, ce soir j’irai l’aborder, tout compte fait, ce n’est pas évident qu’elle envoie un bel homme comme moi balader, aucune femme ne résiste à mon charme. J’ai attendu que blanche neige rentre de sa randonnée avant de sortir de ma maison. Je pourrais jurer qu’elle ne m’a jamais vu, sinon elle se serait manifestée pour que je la remarque plus. Enfin, c’est ce que font toutes les femmes qui savent qui je suis. Il y a des privilèges à être le fils d’un émir, la plupart des femmes désirent être avec moi, ne serais-ce que pour profiter de mes moyens matériels, dommage que les conséquences qui en découlent me sont très lourdes à porter.

Aujourd’hui, j’ai décidé d’être celui qui changera le chapeau du   bonhomme de neige. J’ai décidé de lui voler la vedette, dans le but de l’intriguer et bien évidemment, de me présenter à elle. Au fond, j’espère de tout cœur qu’elle sera versée, et je jubile déjà rien qu’en l’imaginant avec une mine foireuse sur le visage. Debout en face de la statue de glace, je sens un objet volé à vive allure au travers de mon visage. Heureusement pour moi, je me suis aussitôt placé en profil, autrement l’objet m’aurait percuté le visage lors de son vol. C’est mon chapeau qui était en plein vol.

Blanche neige vient de lancer au loin le chapeau que j’avais mis il y a peu de temps au bonhomme de glace et aucune mine foireuse ne se dessine sur son visage. Elle prend néanmoins la peine de m’apostropher.

-« Bonjour monsieur ». Me dit-elle d’une voix apaisée sans même me lancer un regard, puis s’en va sans attendre ma réplique.

J'ai profité de ce moment pour observer à la dérobée cette femme qui se tient devant moi. Je la dépasse d'au moins trois à quatre têtes. Contrairement à ce que j’espérais, son visage a demeuré zen. Je la regarde  avec un visage calme s’en aller. Les mains dans les poches, un pied en avant, je continue toujours de la regarder s’en aller. Arrivée à quelques mètres de chez elle, elle fait un quart de tour sur elle-même puis me lance un regard plein d’expressions. Un regard à la fois doux et harmonieux. Ses yeux marrons sont braqués sur moi et à travers eux, je lis de l’admiration ou peut-être aussi que je me trompe, tout compte fait, elle ne perd pas trop de temps et rentre chez elle.

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√ Chapitre corrigé.

Le fils de l'émir Where stories live. Discover now