Chapitre 12 : Léo

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Voir Sasha aussi heureux m’a fait tellement chaud au coeur que j’ai presque envie de pleurer. J’ai réussi, il a retrouvé son frère, juste parce que, sur un coup de tête, je l'ai cherché sur Facebook. Et les voilà tous les deux, heureux. Je me suis rendu utile. Et peu importe que mon père me considère comme inutile et incapable. Je viens de me prouver à moi-même que je pouvais être utile, et capable de faire le bonheur de quelqu’un d’autre.

Je soupire de soulagement en m’allongeant sur l’un des canapés de la salle de jeux. Un poids vient de disparaître, j’ai l’impression que plus rien ne pourra me retirer mon sourire. Pas même les coups de pieds et de poings de mon père. Ni même ses insultes. Rien.

Et c’est en me répétant ces mots en boucle que je finis par m’endormir, oubliant tout de ma minable vie.

“Léo ? Léo !”

On me secoue doucement. Ca ne peut pas venir de mon rêve, je ne rêve pas. J’ouvre lentement les yeux, les referment plusieurs fois jusqu’à m’être habitué à la lumière, et finis par distinguer quelqu’un accroupi à ma droite. Sasha. Je me redresse en vitesse, trop vite à en croire ma tête qui commence à tourner, et le regarde en me frottant les yeux.

“J’ai bien cru que tu te réveillerais jamais !”

Il rigole en me disant ça. Je ne l’ai jamais vu aussi heureux. Bon, certes, je ne le connais pas plus que ça, mais il a un sourire scotché au visage, et ses yeux pétillent comme ceux qu’un enfant dans un magasin de jouets. C’est seulement là que je me rappelle la raison de sa présence. Axel.

“Euh… Ouais, j’ai des petits problèmes de sommeil, alors quand j’arrive enfin à dormir… Bref, ça a été avec ton frère ?
-Carrément ! Je sais pas comment te remercier, c’est grâce à toi si je l’ai retrouvé ! Merci, merci mille fois !
-Arrête, on dirait que tu vas m’embrasser ! C’était rien, vraiment. J’ai juste tapé un nom sur Facebook hein…
-Eh bah t’as bien fait. Sans toi, j’aurais dû attendre mes 18 ans pour partir à sa recherche.
-Heureux d’avoir pu t’aider !”

Il me sourit, un sourire sincère, et se relève.

“Je vais devoir y aller, ma mère vient me chercher.
-Oh, oui, c’est vrai. Il est quelle heure ?
-Vingt heure.
-Déjà ?! Oh mon Dieu j’ai dormi tout ce temps…
-Ça va, t’as juste dormi six heures.
-Mais c’est énorme ! La dernière fois que j’ai dormi aussi longtemps c’était… Euh… Il y a un moment déjà.
-Insomnie ?
-Euh… Ouais, un truc dans le genre…
-Je te laisse te rendormir alors. Merci encore ! On se voit demain ?
-Demain ? Ah oui, au lycée. Eh bah oui, à demain alors.”

Il me fait un signe de main et sort de la pièce. Je l’entends descendre les escaliers et enfiler ses chaussures. Je reste là, assis sur le canapé, à me demander si j’ai bel et bien dormi pendant tout ce temps. Normalement, je ne dors pas. En fait, je ne dors jamais. Quand je suis seul, je ne dors pas, ou très rarement. Quand mes parents sont là, je ne dors pas du tout. Chez mes grands-parents, non plus. Les seuls moments où j’y arrive, c’est quand je suis chez Maxime. Parce que je ne crains rien, là-bas. Pareil pendant nos heures de perm. Mais je n’avais pas réussi à dormir chez moi depuis bien longtemps. Même les rares fois où Maxime est chez moi, je suis incapable de fermer l’oeil. Alors comment ça se fait que là, alors qu’un inconnu est chez moi, j’arrive à dormir ?

La porte d’entrée s’ouvre et je me précipite dans l’escalier.

“Sasha, attend !”

Il s’arrête et se retourne pour me fixer. Je dois avoir une tête de psychopathe, à en croire le regard qu’il me lance.

“Ça te dirait de revenir ? N’importe quand, du moment que mes parents ne sont pas là.
-Si ça te dérange pas…
-Pas du tout ! Ce week-end, ça te va ? Ils rentrent demain soir et repartent samedi matin, pour revenir le jeudi d’après.
-Sans problème. Tu me rediras vers quelle heure, mais je suis libre tout le week-end.
-Ok, parfait ! A demain.”

Il me sourit encore une fois et s’en va définitivement, fermant la porte derrière lui. Par réflexe, je me dépêche de la fermer à clé, et remonte m’allonger dans ma chambre.

Je ne lui ai pas demandé de revenir ce week-end pour qu’il puisse parler à Axel. Je ne l’ai pas fait pour lui. Je l’ai fait pour moi. Parce que j’ai définitivement besoin de dormir, et qu’il est la seule façon que j’ai trouvé d’y arriver. C’est égoïste, pire qu’égoïste même, mais j’ai besoin qu’il revienne. Je viens juste de le comprendre, et ça me rend malade. J’ai besoin de lui, et j’ai bien peur qu’à force, je devienne dépendant de lui. Le temps nous le dira.

***

Sasha est bel et bien venu ce week-end. Samedi, et dimanche. Il doit revenir ce soir, lundi. Je ne me suis jamais senti aussi reposé, et lui est de plus en plus heureux. Alors peut-être que mon comportement est égoïste, mais au moins, il est utile à nous deux. Nous trois, si je compte Axel.

***

“Léo ?
-Hmm ?
-Est-ce que tu vas dormir à chaque fois que je viens ?
-Pourquoi ?
-Parce que ça fait une dizaine de fois que je viens, et tu dors à chaque fois.
-Je suis incapable de dormir quand il y a mes parents ou quand je suis seul. C’est bête à dire, mais c’est uniquement quand t’es là que je dors. Alors malheureusement, je pense que oui, je vais dormir à chaque fois.
-Mais pourquoi t’arrives pas à dormir ?
-C’est trop long à expliquer…”

C’est juste trop horrible à raconter.

“Vas-y, j’ai tout mon temps.”

Je soupire et me lance dans un mensonge absolument ridicule. Mais je ne peux pas me permettre de lui expliquer la vérité. Comment réagirait-il ? Même si ça fait bientôt trois semaines qu’il vient régulièrement chez moi pour voir son frère, je ne peux pas tout lui dire. Lui m’a dit beaucoup de choses à propos de sa famille, et surtout de lui. Comme le fait qu’il a constamment l’impression d’être observé, alors qu’il sait pertinemment que ce n’est pas le cas. Ça m’a fait rire, sur le moment, mais en réalité je le comprends. Je suis presque pareil.

“Quand j’avais 15 ans environ, mes parents m’ont laissé seul une semaine. Ils étaient partis pour le travail, comme tu t’en doutes. Sauf que pendant ce temps, quelqu’un en a profité pour débarquer en pleine nuit pour nous cambrioler. J’étais mort de trouille, t’imagines même pas. J’étais roulé en boule sous mes draps, en train de pleurer aussi silencieusement que possible. J’ai même pas eu le réflexe d’appeler la police. Le gars a fini par arriver dans ma chambre, il m’a vu, et je t’assure que j’ai vu ma vie défiler. Mais il a rien fait, rien du tout. En me voyant paniqué, il a juste sorti son portable. Et devine la suite ? Il a appelé la police pour dire qu’un cambrioleur était rentré chez lui. Il appelait à ma place. Ensuite, il est parti en s’excusant. Et depuis, je flippe que ça recommence.
-C’est pour ça aussi que tu fermes la porte d’entrée à double tours et que tu n’ouvres jamais les stores de ton salon.
-T’as remarqué ?”

Je rigole à cette idée.

“Comment ne pas remarquer ?”

Il rigole à son tour, et nous voilà lancé dans un fou rire. Même si on ne se parle pas au lycée, parce que j’ai trop peur de la réaction de Maxime s’il apprenait que je laisse Sasha venir chez moi, je crois que nous sommes amis, Sasha et moi. Enfin, c’est comme ça que je le considère maintenant. Un ami, sur qui je peux compter. Même si pour le moment, je ne suis pas sûr de pouvoir tout lui dire à propos de mon père. Mais après tout, je n’ai jamais rien dit à Maxime ou à Sarah, qui sont pourtant mes meilleurs amis.

Mais qui sait, peut-être que ça finira par arriver. Peut-être qu’un jour, je lâcherai ce poids qui me pourri la vie et accepterai que quelqu’un m’aide à le porter. Et qui sait, peut-être que ce quelqu’un sera Sasha.

Aide-moi Sasha...Where stories live. Discover now