Skyline Emrys

Prologue - "Notre vie est un livre qui s'écrit tout seul."

- Tu m'en demandes trop, Charlie, murmura-t-elle d'une voix faible, aux abois.

Elle était presque inaudible, altérée par une émotion difficile à contenir. Elle avait raison, je lui en demandais trop. Pour autant, j'avais besoin qu'elle le fasse. C'était primordial, pour moi.

- « Notre vie est un livre qui s'écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l'auteur. », répliquai-je pour lui faire comprendre que je n'avais pas plus de contrôle sur la situation qu'elle n'en avait. J'ai vraiment besoin de toi, tu le sais. Je le ferai, quoi qu'il arrive, mais tu rendrais la chose nettement plus aisée si tu voulais bien m'aider encore une fois.

Elle prit une profonde inspiration, expira, inspira de nouveau. Ses mains crispées tremblaient, posées sur ses genoux.

- Julien Green, reconnut-elle finalement après avoir chassé l'émotion qui menaçait de laisser s'échapper les larmes qu'elle retenait à grand-peine. Si tu veux jouer à ce jeu, je te ferais remarquer qu'il a également écrit « Un journal est une longue lettre que l'auteur s'écrit à lui-même ». Je refuse d'entendre tes regrets et tes remords. Si tu as des choses à t'avouer, tu n'as qu'à en parler avec toi-même sans te cacher, cela évitera de m'impliquer.

- Je sais, admis-je d'une voix qui se voulait apaisante. Et peu importe si tu trouves ma requête égoïste, peu importe si tu estimes que ce que je vais mettre dedans n'est qu'un dialogue sénile que je devrais avoir avec moi-même. Ce qui compte pour moi, dans l'instant présent, c'est d'être capable de le faire, d'en avoir le courage, et de trouver les bons mots. Le reste n'a plus d'importance, désormais.

Il y eut un silence.

Les bons mots. Avais-je choisi les bons mots ? Les trouverais-je pour la suite, pour la fin ? Il était si difficile de s'exprimer, d'exprimer ses sentiments, leur mettre des mots, les définir au-delà de ce qu'un dictionnaire leur donnait de sens. Si j'y mettais du cœur, je ne doutais pas d'y parvenir au moins pour partie. Le reste dépendrait de la personne qui lirait ces mots que je tentais désespérément de lui adresser.

Elle et moi étions plus proches que n'importe qui d'autre, c'était un fait. Il y avait une alchimie particulière entre nous qui nous liait depuis des années, inébranlable, indestructible, invincible. Elle savait tout de moi, avait traversé les tragédies sans jamais me lâcher la main. Et alors qu'elle espérait enfin que tout irait pour le mieux, je venais vers elle avec une requête qui faisait appel à tous les sentiments qu'elle éprouvait pour moi. Mais si les âmes sœurs existaient vraiment, cette femme était littéralement l'autre moitié de moi-même, celle qui connaissait l'ombre tapie dans mon âme, qui reconnaissait son existence et qui l'acceptait pour ce qu'elle était : une part de moi-même et de mon identité. Amputé d'elle, je ne pouvais plus être moi-même. Dans un espace-temps parallèle où elle n'aurait pas existé, je ne serais pas non plus celui que j'étais à présent.

Voilà pourquoi je savais qu'elle céderait. Pour moi. Parce que c'était tout ce qu'elle pouvait faire pour m'aider dans cette situation.

- Très bien, capitula-t-elle avec difficulté, les yeux humides mais le regard décidé. Je t'aiderai à rédiger cette fichue lettre, peu importe ce que tu as l'intention de consigner dedans. Je ne te jugerai pas. Je ne t'ai jamais jugé.

Un soupir soulagé m'échappa et je me sentis mieux. Pas bien, mais mieux. Tant que cette lettre allait voir le jour, je ne pouvais qu'aller mieux. Car j'avais encore tellement de choses à lui dire...

La regardant droit dans les yeux pour lui communiquer l'importance que cette lettre avait pour moi, je compris qu'elle avait parfaitement saisi le message.

- À partir de maintenant, je remets la suite entre tes mains.

- Tu as ma parole, Charlie, répondit-elle d'une voix ferme. Ta lettre sera remise à qui de droit le moment venu.

Et je savais qu'elle tiendrait promesse.

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