Tes mains de garagiste

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T'étais encore en train de mettre tes pantalons quand Émile est entré. Et quand t'as vu son visage, t'as tout de suite su qu'il avait compris. Moi, j'essuyais encore la vaisselle quand t'as claqué la porte. Et quand j'ai vu Émile, dans le salon, les deux bras contre le derrière de sa tête, j'ai moi aussi su qu'il avait tout compris.

J'ai dû lui expliquer quand tout a commencé; quand j'ai posé, pour la première fois, mes yeux sur tes mains de garagiste et tes sourires narquois. Je lui ai raconté notre premier baiser; un lundi soir dans l'abris-bus, ma main enterrée dans tes longs cheveux blonds et mon cou dévoré par tes lèvres affamées. Je lui ai même dit que tu goûtais la cigarette, mais, que bien honnêtement, ça ne me dérangeait pas du tout; parce qu'un peu plus bas, y'avait tes mains sales sur mon dos. Et je lui ai parlé des milliers d'éclairs que tes doigts lançaient sur ma peau, qu'à chaque coup de tonnerre, mon coeur s'élevait.

Il a regardé ses mains et j'ai vu qu'elles l'inquiétaient, comme si elles n'étaient pas assez sales ou pas assez grandes. Mais, pour moi, les mains d'Émile ont perdu toute leur magie quand j'ai rencontré la puissance des tiennes et tous les orages qu'elles possédaient.

Et j'ai dû lui déballer, sur le bord des larmes, la première nuit que t'as passée chez moi. La chaleur de tes bras contre l'inquiétude dans mon ventre, la romance qu'ont vécu mes draps et le sentiment que j'ai eu quand j'ai su qu'Émile n'était plus de taille. J'ai pas osé le regarder dans les yeux, tu sais, j'avais peur de ne plus y voir sa lumière, son espoir, puis je me suis sentie rapetisser, et j'ai eu envie de vomir.

Il a quitté à son tour, en me disant tout bas qu'il n'aurait jamais dû nous faire nous rencontrer. Et je l'ai vu s'effacer presqu'en un instant, puis il a pris l'ascenseur et je ne l'ai jamais revu depuis.

Je m'en veux d'avoir fait l'amour au bonheur en me collant à toi, parce qu'au même moment j'ai démoli à grands coups d'éclairs le coeur d'Émile, pour ensuite le reconstruire de tristesse, de colère et de honte. J'ignore combien de filles tu as su ensorceler, mais je suis persuadée que tu m'as faite tomber dans ton cercueil de charme. Pour toi, je n'étais qu'un corps de plus à satisfaire, qu'un lit où dormir, qu'une cuisine à dévaliser et peut-être même qu'un simple nom de plus à ajouter dans un carnet.

Quand j'ai posé, pour la première fois, mes yeux sur tes mains de garagiste, tes cheveux longs et tes doigts jaunis au Camels; jamais je ne me suis sentie aussi bien et aussi mal à la fois. Et maintenant, je regrette... je regrette d'avoir plié au bien.

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