Armandine

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Il y avait, chez Armandine, une beauté rare; son coeur, quasiment vierge de douleur, dansait dans son champ de rosiers tous épargnés d'épines. Et malgré la lourdeur de ses 56 longues années, le visage de cette dame paraissait plus vif que ceux de ces trentenaires qui allaitaient leurs bébés. Ses yeux étaient d'un bleu si clair qu'ils faisaient souvent guerre aux ciels d'été, et protégés de leurs longs cils, si longs qu'ils s'entremêlaient tout le temps, ce bleu lumineux n'avait jamais vieilli.

Le corps d'Armandine était couvert d'une peau lisse, presque imperméable; la pluie lui glissait souvent sur le corps, et jamais les larmes de ses proches ne firent plier son coeur indolore, caché de ces rosiers aux branches sans défense. Bien sûr, ce corps vît passer quelques amants, tous plus fiers les uns que les autres, mais aucun de ceux-ci n'avaient réussi à le faire vieillir. Le corps d'Armandine n'était pas seulement couvert de sa peau imperméable, il était bâti de plein de boucliers, tous aussi forts, tous aussi durs. Chez les deux ou trois amants qui furent attirés par les rosiers de cette dame, aussitôt que leur main se posèrent sur un de ces boucliers, leur peau se brûlait. Un feu naissait de ce toucher, éclairé par le bleu lumineux des yeux d'Armandine et par son rire d'un air trop pur.

Mais, les années passèrent et comme le voulait dame nature, le royaume d'Armandine dût un jour perdre de ses défenses. Ses propres larmes avaient réussi à traverser sa peau, nourrissant de plus bel les rosiers de son coeur, d'une innocence impénétrable. Les murs de l'hôpital commençaient à reconnaître les mains de cette pauvre femme et le sol, lui, connaissait ses pas par coeur, ils savaient ses trajets et ses détours, même.

Ce fût Martin, le héros de cette histoire; celui qui fit vieillir le bleu de son regard et la pureté de ses rires. Quand, couchée sur le divan d'un bureau de consultation, Armandine lui racontait sa vie plus ou moins fournie, Martin, lui, comprenait. Il comprenait la lourdeur de son âge, les boucliers de son corps qui se mirent à tomber si vite, sa peau de parapluie maintenant troué et son coeur. Armandine possédait un coeur d'une beauté rare et d'une pureté inpensable. Et quand son dernier souffle, porté d'une douleur et d'une tristesse pareille, s'échappa de ses lèvres assoifées. Martin, de sa bouche et de ses larmes reconnaissantes, fit pousser un dernier rosier sur le coeur de pierre de ce royaume qu'était Armandine. Un royaume inconnu de tous, bien trop protégé de ses, jadis, lourds boucliers.

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