Y'a des jours

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J'croyais que ça allait être plus facile, tu sais, rendu adulte. Mais j'y arrive toujours pas. On pourrait croire qu'après 22 ans d'existence, on commence à s'habituer à la misère et on se crée nos propres moyens de s'échapper de la tristesse, de cette envie de mourir et de vouloir juste tout abandonner. Mais, c'est pas mon cas; ce monde m'étourdit encore, j'ai pas saisi le truc ou bien j'ai manqué une étape, j'en sais rien.

Y'a des jours où je me sens tellement nul et inutile, que je ne me reconnais même plus dans les miroirs. Y'a des enfants qui jouent à la guerre dans le parc, des fois, et ces jours-là j'serais prêt à les laisser me tirer dessus, tu vois. Les bras en l'air, sans aucun bouclier; complètement sans défense. Ils pointeraient leurs fusils à eau sur moi et je m'écroulerais sur mes genoux tout en recevant une bonne dose d'eau froide en plein visage.

Et j'suis épuisé de courir pour rien, me rendre à l'école, puis à l'épicerie, ensuite au centre commercial et, si j'ai le temps, à la boulangerie. À chaque fois que je rentre chez moi, j'me sens un peu comme un étranger, il me faut quelques minutes pour me réhabituer à ce doux sentiment d'être enfin à sa place.

Y'a la musique qui calme la tempête dans mes yeux, des fois. Le genre de truc quétaine que ta mère ferait jouer durant un souper de famille. Les paroles sont simples mais des fois elles me frappent en plein coeur, un coup de poing d'une justesse remarquable, à m'en faire pleurer en petite boule, seul dans le salon. Du genre: «y'aura une fille, un jour. Une fille pas comme les autres. Elle arrivera les mains pleines de solutions pour ton coeur envahi. Et, même si elle te fait te sentir bien, t'auras peur d'elle. Et cette peur tu ne l'auras jamais connue avant, parce que cette peur n'arrive qu'une fois. C'est la peur de perdre quelqu'un qu'on aime plus que tous les autres humains de cette foutue planète». Et j'sais que ça devrait pas me faire chialer, mais, j'en suis juste incapable, ça me démolit.

Avant, quand je me levais à l'aube pour partir à l'école, y'avait Laura qui dormait encore sous mes couvertures chaudes. Un matin, je crois qu'on était en décembre, elle s'est réveillée et est venue me rejoindre dans la cuisine, juste avant que je parte. Elle m'a dit qu'elle avait rêvé à moi, moi qui naviguait comme un pirate à travers une mer enragée. Et elle, elle me regardait partir en criant mon nom, mais la mer m'a emporté. Quand elle m'a dit ça, elle avait les larmes aux yeux, et bizarrement, elle ne voulait pas que je sorte de la maison ce jour-là. De peur que je me fasse frapper, ou un truc du genre.

Des fois, je me dis que mes proches ont plus peur de ma mort que moi j'en ai peur. Y'a des nuits, je rêverais juste qu'on m'enterre et y'a des gens comme Laura, tu vois, qui seraient prêts à sacrifier n'importe quoi pour me garder en vie.

Je sais pas ce qui s'est passé avec Laura non plus, j'crois qu'un jour elle s'est épuisée de ma nonchalance et ma maladresse. Elle m'a promis que nos chemins ne se recroiseront jamais, alors elle est partie à gauche et j'suis allé à droite. Je ne l'ai pas revue depuis. Je n'aurais jamais cru, tu sais, que la vie aurait pu être aussi blessante. J'sais pas comment les gens font pour vieillir jusqu'à 100 ans sans avoir l'envie de se donner la mort. J'sais pas si j'ai manqué un truc, peut-être qu'on m'a pas assez donné de courage. Mais, y'a des jours, tu vois, je voudrais juste m'écrouler pour de bon devant des milliers de fusils à eau.

c'est çaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant