Let The Past Go // K.S.

CHAPITRE 63

LINDA

On descend donc et on se pose dans le canapé sous le regard amusé de Nina. Je mets ma tête dans le cou de Mekra pendant qu'il me fait des gratouilles dans les cheveux. J'aime son odeur et sa peau et j'adore sentir l'hésitation dans ses doigts, preuve qu'il n'avait pas l'habitude de faire des gratouilles avant moi. Soudain il se raidit, arrête ses gratouilles et me chuchote de regarder.

-Linda... dit ma sœur d'un ton mal assuré.

Je tourne la tête et je vois Nina en double. C'est à cause des larmes, mes yeux sont restés trop longtemps clos. Je les frotte mais rien ne change.

Je remarque que "Nina-bis" pleure, elle a l'air plus âgée (au moins la quarantaine) et elle a les yeux vert mousse, pas comme Nina.

Comme moi.

J'avale difficilement ma salive. Je suis sensée dire quoi? "Bonjour, vous êtes Olivia Michaelson? Enchantée, Linda Thomson, votre fille". Elle doit déjà le savoir en plus, si elle est là. On se regarde toutes les deux sans savoir quoi dire. J'arrive pas à ancrer dans ma tête que c'est ma mère, parce que je ne la connaîs pas, je ne me souviens pas d'elle, je venais de naître. Pour moi, ma mère, celle qui a été là, celle qui m'a élevée, c'est Chrissie. Je ne dis rien parce que je me doute que ça va être cruel pour elle, c'est pas sa faute si l'autre l'a dégagée et lui a enlevé notre garde. C'est à cause de lui si je ne la considère pas comme ma mère. Nina a peut-être des souvenirs de surnoms et de berceuses chantées en italien, des moments d'enfance qui lui permettront de passer outre cette absence de 19 ans, mais moi pas.

Je ne veux pas la vouvoyer ni la traiter comme une étrangère, ce serait cruel de ma part même si c'est le cas, c'est une inconnue malgré notre ressemblance frappante. Je ne dis rien, je serre la main de Mekra qui la dévisage avec méfiance.

-Linda, dit-elle, je suis...

-Je sais qui tu es, la coupai-je.

Je voulais ajouter "Tu es ma mère " mais ces mots n'ont pas voulu sortir. Nina me regarde l'air de dire "attention à ce que tu dis". Je sais qu'Olivia a envie de me serrer contre elle, mais j'ai peur qu'elle se rende compte qu'elle m'est étrangère. Déjà je l'appelle Olivia et non pas Maman. Je suis perdue et je n'ose pas parler de peur de dire quelque chose qui la blesse. Ses mains tremblent tout comme sa lèvre inférieure.

-J'ai... Je...

Je cherche mes mots.

-J'ai besoin de temps, d'accord?

J'adresse un regard d'excuses à Olivia et je m'éclipse. Je suis rejointe peu après par ma sœur.

-J'veux pas le laisser gagner en la considérant comme une étrangère, Nina. Mais ma mère, c'est Chrissie.

-Ne t'en veux pas Linou, c'est pas ta faute... Dis-toi que tu as de la chance d'avoir une autre mère qui t'aime inconditionnellement et quoi que tu fasses. C'est un peu comme si elle continuait le travail de Chrissie, sauf que c'est elle ta mère biologique. Dis-toi que dorénavant c'est elle qui te soutiendra et qui te regardera avec fierté à chaque victoire. Tu vas apprendre à la connaître, on va apprendre à la connaitre parce que j'avais cinq ans alors je n'ai pas beaucoup de souvenirs. Mais crois-moi, ça va aller Linda.

-Je sais pas ce que je peux dire. J'veux pas lui mentir, mais j'veux pas la blesser. J'arrive même pas à l'appeler "Maman", dans ma tête c'est "Olivia".

-Chrissie non plus tu ne l'appelais pas Maman, en général, remarque Nina. Tu n'osais pas, parce que ce n'était pas ta mère biologique. Peut-être que ça viendra progressivement Linda, ne t'en fais pas.

Je serre ma sœur fort contre moi. J'ai peut-être pas eu de mère mais j'ai une sœur qui m'aime plus que tout et que j'aime plus que tout et c'est ça l'essentiel. Je sais qu'elle ferait n'importe quoi pour moi et qu'elle restera la quoi que je fasse.

-Tu es la personne la plus importante que j'aie dans ma vie, t'es ma grande sœur et mon repère, je t'aime Nina.

Elle me serre encore plus fort contre elle.

-Moi aussi je t'aime, Baby Duck.

Je souris à l'entente de ce surnom de notre enfance, issu d'un épisode de Dora l'Exploratrice que j'aimais particulièrement.

-ça va sinon, avec Mekra?

Je hoche la tête en souriant et elle m'imite.

-Et toi avec Ken?

Son sourire s'estompe un peu.

- Pas de nouvelles, bonne nouvelle, j'imagine.

-Il t'a pas envoyé de message ni appelée ni rien?

Elle secoue la tête.

-On descend?

Mékra et ma mère étaient en train de discuter. Je me suis assise à côté de lui. Il me fait un bisou sur la joue.

-Olivia et les morues sur le canapé, bougez vos boules jusqu'à la cuisine! Braille Clem.

-La reus du Fenek elle va se calmer direct, rétorque Mékra.

Clem met sa tête dans l'entrebâillement de la porte, le fusille du regard et dit :

- Pardon? Fais pas le gars parce que t'es peut-être le reuf de Ken, mais Ken c'est mon vrai frère et comme il est con comme un grand frère il croit tout ce que je lui dis, alors je pourrai déformer tes propos et lui répéter juste pour le plaisir de le voir te casser la gueule.

- Tu m'fais pas peur, Pissaulit.

- Comment tu m'as appelée?! Je vais buter Ken putain.

Mékra ricane.

-Breefffff venez nous aider s'il vous plaît.

-Ah ça t'as calmée direct que je t'appelle comme ça hein?

-Ferme-la Haks.

Il ricane à nouveau et je le frappe sur l'arrière de la tête.

-Merci Linda.

-T'inquiète. Non j'te vois venir toi t'as pas intérêt à faire la gueule, dis-je ensuite à Mékra.

On va dans la cuisine et on prépare à manger pour nous sept.

*

-DEBOUT LES MARMOTTES !! Crie Nina en entrant dans la chambre.

-Putaiiiiin, râlai-je, les yeux encore clos.

Mékra marmonne des insultes extrêmement vulgaires à l'attention de ma sœur et enfouit son visage dans l'oreiller.

-Vous vous êtes vraiment bien trouvés tous les deux, ricane-t-elle.

-L'heure? Demandai-je

-10h03.

-TROP TÔT!! Crie-t-on en chœur.

-Si vous vous levez pas maintenant, c'est Clem que j'envoie.

Bats les couilles frère.

Elle s'en va et on se rendort paisiblement.

Vingt minutes plus tard, quelqu'un entre sur la pointe des pieds avec la discrétion d'un éléphant. Et on reçoit plein d'eau glacée sur nous, sous les rires de Clem, Lou et Nina qui reçoivent une floppée d'insultes.