Chapitre 10

550 106 206
                                    

Vendredi après-midi, après ce fameux baiser sur ma joue, Zoé a tourné les talons si rapidement que j'ai bien failli la laisser partir sans rien dire — trop étonné par son geste. Sans réfléchir, et presque en criant parce qu'elle s'éloignait, je lui ai demandé si elle voulait qu'on dîne ensemble la semaine prochaine. J'ai bien cru qu'elle refuserait de but en blanc quand elle a mordillé sa lèvre inférieure, mais en fin de compte, elle m'a plutôt demandé si je verrais un inconvénient à ce qu'on prenne un café ensemble lundi matin.

Selon elle, le formateur qui lui avait été assigné n'était rien de moins qu'un bourreau de travail; elle ignorait donc si elle pourrait se libérer durant les premiers jours.

J'ai accepté.

En fait, j'aurais accédé à sa requête même si elle n'avait eu aucune justification valable à me donner. J'étais un attardé en matière d'histoires de coeur, mais ce baiser était un indice sans équivoque que je lui plaisais; je ne pouvais pas l'ignorer.

Le lundi matin pourtant, je ne suis plus certain de rien.

Et si son formateur bourreau de travail n'était qu'un prétexte? Peut-être n'a-t-elle pas envie de se retrouver avec moi plus de trente minutes, en fin de compte...

Sinon pourquoi me donner rendez-vous avant le travail plutôt qu'après?

Je mets le double du temps habituel pour me préparer ce matin : je réfléchis et tente de me convaincre qu'il n'y avait aucune arrière-pensée à son invitation.

Rien à faire, je suis trop nerveux.

En plus de ce rendez-vous lancé à la hâte, juste avant que je parte pour la fin de semaine, Daniel m'a convoqué dans son bureau. Il a passé quinze minutes à vanter mes mérites, mais au bout de seulement cinq, je savais ce qu'il voulait : que je me charge de la nouvelle. Il avait l'air mal à l'aise — il sait parfaitement que je suis du genre timide —, mais il m'a expliqué que j'étais le deuxième technicien le plus ancien (ce qui est tout à fait vrai) et que, à ce titre, j'étais aussi l'un des plus qualifiés pour me charger de cette tâche de la plus haute importance.

Je l'ai trouvé limite insistant, avec tous ces qualificatifs élogieux et ces adverbes amplificateurs.

Mais comme je suis un employé modèle (ce qu'il a aussi souligné, d'ailleurs), j'ai accepté. Ma mère a toujours dit que pour voir un travail bien fait, mieux valait le faire soi-même.

Si je veux que la nouvelle prenne les bons plis, et ainsi éviter de devoir passer derrière elle constamment, je sais que c'est la meilleure solution. Et puis ce ne serait pas la première fois que je forme quelqu'un : Manuel a été mon premier essai à titre de superviseur.

C'était pas parfait, mais c'était mieux que celui qui m'a appris les bases du métier à mon arrivée.

J'adore Daniel, mais j'ai vu tout de suite qu'il ne voulait pas de ce job. Il me donnait peu de directives, se contentant de me dire ce qui devait être fait et me laissant choisir les méthodes à adopter. Grâce à toutes les tâches qu'il m'a déléguées depuis, et ce, jusqu'à ce qu'il devienne chef de service, puis directeur, je suis devenu presque indispensable, le touche-à-tout de service.

J'aime ça.

En fait, je me suis rendu compte durant la fin de semaine que j'aurais été vexé qu'il confie cette tâche à quelqu'un d'autre. Je suis l'homme de la situation.

J'ai une petite pensée pour la nouvelle : j'espère qu'elle sera motivée et qu'elle n'a pas peur des blagues grivoises, parce qu'elle n'est pas sortie de l'auberge...

Je descends de l'autobus les mains dans les poches de mon pantalon, songeur. Zoé doit me rejoindre au café situé au rez-de-chaussée de l'édifice, alors je m'y dirige avec l'assurance de l'habitué.

KoïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant