Chapitre 3

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D'habitude j'arrive le dernier malgré mes tentatives pour être à l'heure (la ponctualité est sans conteste la plus grande marque de respect à mes yeux) et je suis forcé de rester debout à l'entrée, coincé entre la porte et mon collègue Manuel qui, la plupart du temps, sent la transpiration.

Aujourd'hui, je suis le premier arrivé pour la première fois depuis...

En fait, ça doit faire six ans que je travaille ici, et je ne me souviens pas d'être déjà arrivé avant Émilie ou Daniel, qui sont toujours là en avance. Et pourtant, je me souviens d'une ou deux fois ou j'étais arrivé dix minutes plus tôt — par erreur.

Juste au cas où j'aurais mal lu et me serais trompé de salle, je sors mon portable et fait défiler mon calendrier. C'est bien la bonne salle, la bonne heure.

— Tiens... on est les premiers arrivés, on dirait.

Sur le pas de la porte, ma tasse dans sa main manucurée et un carnet contre son coeur, Zoé sourit avant de venir s'asseoir à mes côtés. Intimidé, je me pousse légèrement pour lui laisser de l'espace.

Comme si elle pouvait en manquer... je retiens un soupir. J'espère qu'elle ne va pas croire que je ne veux pas qu'elle s'assoie là, mais...

De toutes les chaises autour de la table — il doit y en avoir une douzaine — pourquoi choisir celle qui jouxte immédiatement la mienne?

Pour être honnête, je suis gêné par sa présence si près de moi.

Même dans son bureau, ce matin, il y avait plus d'espace entre nous deux!

Je garde donc les yeux rivés sur mon téléphone, en silence.

Du coin de l'oeil, tout ce que je peux voir d'elle, ce sont ses mains et ma tasse, qui reposent sur son carnet ouvert à une page blanche.

Une douce odeur florale me chatouille les narines quand elle défait sa tresse pour mieux la refaire, et je me dis que, finalement, mieux vaut le parfum de Zoé que les effluves sportifs de Manuel.

Je prends une inspiration en regardant l'heure : 15 h pile. Je leur laisse cinq minutes. Passé ce délai, je retourne à mon bureau préparer mes affaires pour le lendemain. Tant pis s'ils arrivent dans six minutes, ils feront la réunion sans moi.

Ma journée a été chargée et celle de demain le sera tout autant. Il faut dire que deux collègues ont pris leur retraite récemment et qu'un autre s'est vu offrir une belle occasion ailleurs.

Je n'ai vraiment qu'une envie, c'est de rentrer chez moi à 15 h 30 tapantes.

Mon regard dévie sur la tasse, que Zoé effleure, caresse du bout des doigts, en veillant à suivre chacune des courbes et des lignes droites. Ses gestes sont lents, je pourrais presque les qualifier de tendres.

— Qu'est-ce qui te plaît le plus sur cette tasse?

Je suis réellement intrigué, mais impossible pour moi de la regarder en face en lui posant cette question. Par conséquent je fixe toujours ses doigts. Ils ne sont pas fins comme ceux d'Émilie, mais ils se terminent par de faux ongles eux aussi. Ils ricochent à quelques reprises sur la table pendant que Zoé réfléchit.

— Tout. Mais si je dois choisir, je dirais que j'adore le fait que les koïs viennent s'étreindre pour former la pointe du coeur. Ce ne sont que des poissons sur une tasse, et pourtant, je ressens de la tendresse en les voyant.

Je hoche la tête, elle poursuit :

— J'adore les couleurs et les quelques coups de pinceau qui sont perceptibles. Et la signature qui se fond dans l'un des nénuphars...

KoïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant