Chapitre 5

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Lundi arrive, et je me lève avec la même détermination que celle de vendredi. J'ai pensé à Zoé toute la fin de semaine. La situation me rend perplexe, mais je sais ce que j'ai à faire aujourd'hui.

Après une séance de course intense pour canaliser mon anxiété face à ce que j'ai décidé de faire, j'engloutis un déjeuner expéditif, jette dans ma boîte à lunch quelques fruits et un sandwich approximativement bâti et je m'élance vers l'entrée.

Juste avant de me ruer dehors — je dois arriver particulièrement tôt pour mettre mon plan à exécution —, j'avise une tasse sur le comptoir et m'en saisis sans m'arrêter.

La tasse inconnue me tente pas mal moins quand j'ai l'option de ramener une des miennes... au moins je sais qui a bu dedans!

Une image fugitive passe dans ma mémoire, celle de Zoé, celle de la marque de rose sur le rebord de la tasse koï.

Je frissonne et me frictionne les yeux des deux mains, découragé. Et un peu fatigué. Je n'ai pas beaucoup dormi depuis deux jours. Cette histoire de tasse m'obsède.

Je ricane en montant dans le bus devant m'amener au travail, et le chauffeur fait une drôle de tête. Mon frère Akio ferait probablement la même si je lui racontais ce qui m'arrive.

Lui, il correspond beaucoup plus au Québécois typique extraverti et sans gêne dépeint dans les médias.

J'aime les subtilités et la politesse, alors qu'Akio est direct et sacre pour tout et pour rien... sauf que ça a l'air de fonctionner pour lui... Chaque fois que je le vois, il me présente une nouvelle fille.

Moi, quand une femme me plaît, je l'ignore presque...

Il y a presque quatre mois que Zoé travaille avec nous, et pourtant je ne sais presque rien d'elle.

Je réalise qu'en fait Émilie m'a fait une fleur. Et c'est la raison pour laquelle je n'arrive toujours pas à l'évincer de ma liste de suspects potentiels pour les mauvaises blagues. Mais je serai fixé bientôt, ne me reste plus qu'à me laisser porter jusqu'au bureau.

Je ferme les yeux et somnole quelque temps en m'agrippant à ma tasse.

Mes pensées voguent de nouveau vers Akio. Que ferait-il à ma place? Je renifle, déridé. Jamais il ne s'intéresserait à une fille comme Zoé.

Elle est physiquement son type, mais elle est plutôt timide, calme, posée; elle ne semble pas le genre de fille trop aventureuse.

Je refuse d'imaginer Akio en train de se la faire dans le débarras, entre deux piles de cartouches de toner usagées. Même si ce serait totalement son genre.

Quant à moi... je serais déjà heureux qu'elle accepte de prendre son thé matinal en ma compagnie.

N'a-t-elle pas dit aimer tout ce qui est japonais?

À demi, ça compte?

En posant le pied sur le trottoir du complexe où je travaille, je décide de passer à son bureau après avoir accompli ma tâche douteuse. De toute façon, je compte lui faire part de mes intentions au sujet de son farceur, car j'aurai besoin de sa coopération.

6 h 45, je suis le premier arrivé.

J'essaie de prendre ma démarche usuelle. Je salue les gardes d'un hochement de tête, comme d'habitude, et je monte.

Personne ne m'arrête.

Je dépose mes affaires sur mon bureau en coup de vent et me glisse dans le bureau d'Émilie en retenant une exclamation de joie : elle n'a pas verrouillé sa porte, que je referme doucement derrière moi.

Il me faut à peine trente secondes pour trouver le mot de passe de ma collègue. Je l'ai vue le cacher la dernière fois qu'elle a eu des problèmes de réseau. Malgré les risques pour la sécurité que ce geste représente, elle l'a écrit sur une note jaune collée dans son agenda.

Difficile de lui en vouloir aujourd'hui, puisqu'elle me facilite la vie.

Merci, Em'.

Je tape le mot de passe alphanumérique sans trop me poser de questions.

Puis je le relis pendant que Windows démarre, et je fronce les sourcils.

"S3xyD4n!"?

Cette découverte me trouble plus qu'elle ne le devrait. Ce n'est probablement pas Daniel, le directeur... si?

Le bureau d'Émilie s'affiche, et je repousse ma trouvaille dans les tréfonds de mon esprit. Ça ne me regarde pas, après tout.

Je ne devrais même pas être ici... alors qui suis-je pour juger de ce qui est correct ou pas?

Quand j'ouvre sa messagerie, je cherche d'emblée un échange qui comporterait le mot clé "tasse".

Rien.

Kenji?

Non. Ken, plutôt. Émilie utilise des surnoms pour désigner tout le monde.

Bingo!

Un message à l'intention de Daniel (Dan) s'affiche. C'était pour lui demander qu'il devance la réunion au premier avril, mais juste pour Zoé et moi (Ken est surligné en jaune en raison de la recherche, ça ne pourrait pas être plus clair).

D'accord. Confirmation numéro un.

En remontant le fil de la conversation, je découvre aussi qu'elle avait parlé à Daniel de son plan visant à prendre ma tasse pour la donner à Zoé, dans le but avoué de nous rapprocher.

J'ai ma confirmation numéro deux.

Un nouveau message entrant s'affiche, ce qui me fait sursauter.

De : Dan
À : Émilie
Objet : Débarras

J'ai fait de la place ;-)

Ok... confirmation (involontaire) numéro trois.

Je me dépêche de remettre le courriel en mode "Non lu", mais alors que je m'apprête à tout fermer, je vois un courriel de Zoé passer.

De : Zoé
À : Émilie
Objet : re: Kenshin Himura

J'ai eu la réponse que je voulais, je peux donc partir et cesser immédiatement ce qui constitue une brèche énorme à l'intimité d'Émilie, non?

Pourtant mes yeux restent rivés sur la fenêtre ponctuelle créée par l'arrivée du message.

Un seul clic et je saurai pourquoi le nom d'un personnage de manga est en objet de ce courriel.

Je gonfle les joues et les dégonfle silencieusement.

Rendu où j'en suis...

Je l'ouvre.

KoïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant