Chapitre 7

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Les jours passent toujours à la vitesse de l'éclair, mais j'ai l'impression de manquer de temps pour tout faire.

Émilie m'a confié qu'un nouveau technicien arrivera la semaine prochaine, et c'est à moi qu'il revient de préparer son poste de travail.

Normalement, j'aurais été enchanté par cette tâche.

Mais le bureau à côté du mien — inutilisé par un être vivant depuis le déluge — doit d'abord être vidé de tout le matériel désuet accumulé ces six dernières années... et comme je sais maintenant à quoi sert le débarras, j'ai ma petite idée sur l'identité de la personne ayant pris ce pauvre cubicule pour une décharge...

Je délaisse ma tâche colossale toutes les vingt minutes depuis les trois derniers jours pour aller régler des problèmes que je n'arrive pas à régler, trop obsédé par une seule pensée.

Zoé part demain soir.

Je n'ai pas chômé de ce côté-là, même si pour certains mes efforts pourraient sembler ridiculement subtils.

D'abord, j'ai joué la carte de l'innocence lundi : je suis allé voir Zoé pour savoir si les farces se poursuivaient. Quand elle a répondu par la négative, je ne me suis pas lâchement sauvé.

Pour une fois, je l'ai fixée droit dans les yeux...

Puis je me suis enfui parce qu'Émilie est arrivée et que je me sentais atrocement coupable de savoir ce que je savais à son sujet.

Je ne verrai plus jamais de la même façon le rajustement de cravate de Daniel ou l'aplanissement de chemisier d'Émilie...

Et ils se produisent beaucoup plus fréquemment que j'aurais pu l'imaginer.

Mardi, entre deux appels de soutien, j'ai réussi à entrevoir la natte volante de Zoé alors qu'elle passait devant l'entrée de mon cubicule.

À 8 h 30 et à 14 h.

Manuel m'a dit qu'elle est réglée comme une horloge.

Le mercredi, par pure coïncidence, j'ai eu envie d'un café à 8 h 25. J'ai sciemment fait mine de ne pas voir le courriel qui venait d'entrer dans ma boîte; j'ai fait taire mon téléphone à mi-sonnerie.

La cuisinette était vide, mais mon bureau étant plus près que le sien, il était logique que j'arrive en premier. C'était aussi ce que je voulais.

Si j'y suis avant elle, j'ai l'air moins louche.

J'ai mis de l'eau dans la bouilloire et l'ai démarrée tout en m'appuyant avec une fausse désinvolture sur le comptoir. J'ai vu défiler Manuel, qui m'a fait un clin d'oeil, puis Daniel est entré en coup de vent — en rajustant sa cravate — pour prendre quelque chose dans le réfrigérateur. Le patron s'est arrêté avant de sortir et m'a regardé un long moment. Il avait l'air aussi coupable qu'il l'était probablement, mais, dans sa voix, aucun indice de culpabilité.

— Alors, Ken, comment ça avance?

— Le débarras est un vrai foutoir, ai-je laissé tomber avec un sérieux difficile à conserver, mais je devrais être en mesure de terminer demain soir.

Yeux fuyants, raclement de gorge.

Cramé, ai-je songé en tentant de demeurer impassible.

— Merveilleux, a-t-il déclaré en tapant dans ses mains. Fais-moi signe si tu as besoin de quoi que ce soit.

Daniel a disparu, et j'ai rigolé dans ma barbe en fixant ma tasse.

Parfois j'aimerais avoir cette aisance avec les femmes. Bon, d'accord, Daniel ne sait pas ce que je sais, mais j'ai quand même fait exprès de mentionner le débarras pour voir sa réaction. C'était plus fort que moi.

Quand Zoé est entrée dans la cuisinette, je brassais mon café noir avec la frénésie du désespéré, convaincu que simplement parce que je voulais la voir, elle ne se pointerait pas ce matin-là.

J'ai donc sursauté quand elle a prononcé mon prénom.

— Oh. Salut, Kenji.

Mon premier réflexe a été de hocher la tête et de détourner les yeux, mais après un immense effort, j'ai reporté mon attention sur elle.

Et je l'ai vraiment regardée.

Longtemps.

Ses cheveux lâches cascadaient sur ses épaules et son cou, cherchaient à faire glisser mon regard jusqu'à leurs pointes, qui faisaient le grand saut devant mes yeux ébahis.

Pente dangereusement prononcée que je me suis défendu d'emprunter juste avant de sombrer.

— Euh... l'eau est prête.

Je me suis détourné pour déposer mon café et me saisir de la bouilloire, et j'ai rempli sa tasse, qu'elle me tendait timidement.

— Merci.

Nous avons siroté notre boisson en silence; nous nous apprivoisions. Ainsi, quand mon téléphone a sonné la fin de la récréation, je me suis excusé à regret, déçu de devoir briser ce moment de plénitude.

J'ai rincé le fond de ma tasse avant de sortir, puis je me suis tourné pour dire quelque chose à Zoé, mais je suis resté muet d'étonnement.

Elle m'avait emboîté le pas.

Surpris, j'ai tout oublié de l'endroit où je devais me rendre.

Je l'ai raccompagnée à son bureau.

KoïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant