Le soleil ardent, en contraste avec la pénombre du hall, me fit cligner des yeux. Rosalind, elle, ne semblait pas incommodée par ses rayons. Appuyée au portillon, son chapeau de paille basculé en arrière, elle offrait à la lumière son visage aux yeux mi-clos.
— Vous ne craignez pas de gâter votre teint ? demandai-je après l'avoir rejointe en quelques foulées.
— Non. Ma peau reste blanche quoi que je fasse.
— Et la mienne brune, hélas !
Des propos anodins, sans rapport avec la soirée au Romano ni avec l'intervention intempestive de mon grand-père. Mais Rosalind protesta :
— Vous avez tort de vous plaindre. Cette coloration donne du caractère à votre visage.
— Et vous aimez cela ? osai-je demander.
— Oui.
Je retins mon souffle. Elle avait soulevé les paupières et ses yeux, réduits à deux fentes bleues, me regardaient bien en face.
— Pour avant-hier...commençai-je.
— Vous n'avez pas à vous justifier, Walter. Il n'y a pas de mal à entretenir des rapports avec...ce genre de femme.
Cette expression dans la bouche de Rosalind me chagrina. Isolda était digne de respect, digne d'amour – un amour que je ne lui donnais pas –.
— Isolda Allen n'a rien d'une prostituée, répliquai-je. Elle vit de son art et choisit d'aimer qui elle veut.
Rosalind ne se fâcha pas ; au contraire, elle sourit.
— Vous devez l'aimer pour la défendre avec une telle vigueur, commenta-t-elle avec un soupçon de malice.
— Non. Je n'aime qu'une seule femme : vous.
Cet aveu avait franchi mes lèvres sans préméditation. Les traits de Rosalind se contractèrent sous l'effet d'une émotion violente. L'écho de son trouble se répercuta en moi. L'air autour de nous paraissait vibrer bien qu'aucun vent n'agitât la cime des arbres.
— Je vous en prie, chuchota Rosalind. Si Véra et Marjorie vous entendaient...
Des rires émanant de l'intérieur de la maison signalaient l'irruption imminente des deux femmes, mais je n'en avais cure.
— Je vous aime, répétai-je. Vous aussi, vous m'aimez. Ne le niez pas !
— Vous êtes bien présomptueux.
Elle jetait des coups d'œil effrayés vers la façade et triturait sa ceinture d'une main nerveuse.
— Il y a un salon de thé à Bond Street, reprit-elle dans un souffle : tout près de chez ma tante. L'endroit est calme et discret. Pouvez-vous m'y retrouver mercredi à cinq heures ? Nous causerons.
DU LÄSER
KENSINGTON ROAD
Historiska romanerLondres, 1896, Le jeune Walter, élevé à la campagne, se trouve du jour au lendemain, projeté dans une famille de la bourgeoisie industrielle qu'i ne connaît pas et qui le rejette. Son grand-père,Murray Davis, un manufacturier, dirige la maisonnée...