La vie volée de Ruby

Chapitre 49 - Partie 2

« Je vais préparer le café. Et m'occuper du dessert.

- Merci Héléna mais tu n'es pas obligée.

Brenda posa les assiettes dans l'évier et commença à les ranger dans le lave-vaisselle. Héléna la regarda faire puis posa sa main au-dessus d'une des assiettes pour attirer l'attention de Brenda.

- Laisse je vais le faire aussi.

- Merci chérie mais je m'en charge. Je sais que tu es fatiguée. Va te détendre.

Héléna crispa les poings comme si elle avait entendu une craie grincer sur un tableau noir. A bout de nerfs et de patience, c'était la seule excuse qu'elle avait trouvé pour s'échapper de la salle à manger un petit moment. Le bébé de Patsy Thatcher était né deux jours après sa fille. Les nourrissons auraient le même âge. Héléna n'avait pas pu détacher le regard du garçonnet et pendant tout le repas la douleur avait été aussi vive que si un long poignard s'enfonçait lentement dans son cœur. Patsy et son mari étaient en adoration devant leur bambin, les grands-parents complètement gaga et ses parents ne tarissaient pas d'éloges. Le petit garçon était beau comme un ange. Il avait hérité de sa mère sa peau couleur caramel et de son père les yeux en amandes. 

Surnageant dans le marasme de ce cauchemar, Héléna avait dû subir le récit long et affreusement détaillé de la grossesse idyllique de Patsy puis de l'accouchement parfait, ponctué des insupportables petites anecdotes sur les maladresses du jeune papa, et rien ne lui avait été épargné pas même les affres de l'allaitement. Patsy était fatiguée, oui, mais heureuse et comblée de bonheur, et entendait bien le crier sur tous les toits.

Pas une bouchée n'avait pu franchir la bouche d'Héléna. Elle avait épuisé toute son énergie à retenir ses larmes et à maintenir les apparences. Elle avait réussi l'exploit de rester polie et serviable. Elle s'était pliée de bonnes grâces et même avec un petit sourire poli, à la torture des photos. Tout le monde avait voulu porter le bébé qui distribuait en récompense des grands sourires. Mais quand son tour était arrivé, Héléna était restée pétrifiée et avait tenté de bafouiller une excuse bidon. Un second poignard avait rejoins le premier et s'était enfoncé brusquement dans ses poumons la privant ainsi de tout air. C'était Rob qui l'avait sauvée en confisquant son neveu d'autorité en riant, réclamant son droit à le câliner.

Brenda tendit une main apaisante mais la jeune fille l'esquiva en levant le bras brusquement et en fermant les yeux, les mâchoires crispées. Les nerfs à vifs, elle ne supporterait pas la moindre contact physique avec qui que ce soit. Elle ferma son poing tremblant et baissa son bras lentement. La colère qui bouillonnait en elle, tel un volcan prêt à rentrer en irruption, menaçait d'exploser d'une minute à l'autre. Il fallait qu'elle se maîtrise juste encore un peu. Héléna croisa le regard peiné de Brenda, et se sentit obligée d'expliquer d'une voix tremblante :

- Je suis plus utile ici.

- Tu ne veux pas rester discuter avec les invités ?

Bien sûr, la mère de famille trop occupée à faire des papouilles au bébé et à flatter ses invités n'avait rien remarqué du supplice que vivait sa propre fille. Comme d'habitude. La jeune femme se contenta de secouer la tête et tourna le dos à sa mère en se concentrant sur les assiettes qu'elle se mit à rincer.

- Oui, je sais que tu es fatiguée mais je pensais que ça te ferait plaisir de voir du monde, que ça te changerait les idées.

"Mais comment fait-elle pour être toujours à côté de la plaque comme ça ?!"

- Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je suis arrivée hier. J'ai fait ce que j'ai pu pour rester polie mais là j'ai besoin d'un peu de répit.

Brenda tenta de cacher sa surprise. Héléna venait de lui parler un peu d'elle et lui confier un peu de ses sentiments. Ça valait toujours mieux que son mutisme habituel. C'est vrai, que maintenant qu'elle y faisait attention, sa fille semblait au bord des larmes. Il valait sûrement mieux ne pas la contrarier. Après la dispute qu'ils avaient eut hier, il était normal qu'elle soit encore bouleversée.