Chapitre 1 ( Partie I)

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Média :

Hailey 

Tom Odell - Heal

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H A I L E Y 

Juin 2014

Un dicton dit que l'on ne choisit pas sa famille, mais ses amis oui. Je n'aurais pu rêver mieux que ceux qui m'entouraient. À présent qu'ils ne sont plus là, je me rends compte à quel point ma vie est vide sans eux. Que le fait que je respire encore n'a aucun sens. Je ne sais pas s'il y a des mots assez forts pour décrire son ressenti lorsque l'on perd sa deuxième famille.

Assise à ma fenêtre, le moindre coup de vent me fait perdre l'équilibre et manque de me faire chuter. C'est peut-être ce que je cherche, mais je ne suis pas encore prête à lâcher prise. Pour l'instant, je m'agrippe de toutes mes forces. J'attends un signe du destin me disant qu'il est temps d'abandonner, d'arrêter de s'accrocher et de se laisser aller. J'attends que la mort vienne me cueillir, me retirer le peu d'envie de vivre qu'il me reste, qu'elle m'annonce que tôt ou tard je n'aurai plus le choix. Comme l'accident qui m'a enlevé trois de mes amis, mes meilleurs amis.

On s'est rencontré sur les bancs de la fac et on ne s'est plus lâché. Anthony, le blond de notre groupe, le beau parleur. Notre futur avocat qui devait rejoindre le cabinet de son père, spécialisé dans le droit international. Thomas, une musculature impressionnante avec des yeux verts en amandes, avait trouvé un poste dans une entreprise concurrente. Je me souviens qu'ils n'arrêtaient pas de se charrier sur ce point, et commençaient déjà les paris sur qui aurait le plus de dossiers. Et enfin Vincent, plus réservé, mais tellement attentionné, les taches de rousseur qui ressortait sur son visage lui ajoutaient indéniablement du charme. Il voulait se diriger vers l'immobilier. Maintenant ce qu'ils voulaient ou devaient faire n'a plus d'importance, parce qu'ils ne peuvent plus le faire.

Nous ne sommes plus que deux à présent. Elijah, considéré comme le leader, le brun ténébreux en puissance, avait choisi un cabinet qui traite spécialement du droit des affaires. Quant à moi, la seule femme de cette fameuse équipe, j'avais choisi un domaine qui me parlait plus, le droit social. Nos vies étaient toutes tracées, on pouvait enfin souffler après toutes ces années à plancher, à réviser, à se tuer à la tâche pour avoir de bons résultats. Nous n'avons pas fait que ça bien sûr, nous n'étions pas des saints, mais notre objectif était d'avoir notre diplôme. Notre groupe, plutôt hétéroclite, était surnommé le Gang Des Indomptables par d'autres étudiants et parfois certains professeurs. Aujourd'hui, il n'en reste plus rien. La mort a frappé et dompté trois d'entre nous.

La semaine a été une succession de larmes, de cris, de douleur. Une semaine où leur absence a criblé mon âme de trous. Cet après-midi a lieu le dernier enterrement, celui de Vincent. Je vois encore son visage rempli de terreur se tourner vers moi lorsque l'autre véhicule nous a percutés. Comme au ralenti, je vois les images se succéder dans mon esprit. On avait fini notre course sur le toit, on était presque indemne. Jusqu'à ce qu'une autre voiture nous rentre dedans. J'aimerais fermer cette porte, mais je n'en ai pas la force. Mon cœur se vide de son sang, je suffoque, je crois même que je me mets à hurler et mes doigts commencent à lâcher prise. Jusqu'à ce qu'un bras m'entoure la taille et me ramène dans ma chambre. Je n'ai pas besoin de lever les yeux pour savoir qu'il s'agit d'Elijah. Le corps tremblant, je glisse le long du mur et je me balance d'avant en arrière. Puis je sens sa caresse sur mes cheveux, dans mon dos, et je craque. Mes sanglots deviennent des supplications, des hurlements remplis de colère, d'un sentiment d'injustice. Lorsqu'il resserre son étreinte, je le sens aussi trembler. Je sens des gouttes tomber sur ma nuque courbée.

Les deux survivants. Complètement brisés. On ne parle pas, on se soutient comme on peut. On s'allonge par terre, nos cœurs en miettes. Nos pleurs se tarissent, mais nos respirations restent heurtées. Je ne pleure jamais pendant les enterrements, comme si je n'en avais pas le droit, comme si le fait d'être encore en vie me l'interdisait. Comme si ma peine et ma douleur ne pouvaient égaler celles des parents, parce que je suis encore là et eux non. Tel un zombie, j'écoute les éloges funèbres et fuis avant la mise en terre, car je sais que ça va être insoutenable.

Mon regard embué fixé sur le plafond de ma chambre, je sens la main d'Elijah effleurer la mienne avant que nos doigts s'entremêlent. À part des côtes fêlées, des bleus sur le visage et sur le reste du corps, je suis entière physiquement. Mais cette douleur n'arrive pas à me faire oublier celle qui me tue à petit feu, celle de mon âme en mille morceaux. Elijah, lui, a un bras dans le plâtre et plusieurs contusions. Des miraculés. Je soupire et ferme les yeux. Malgré tout, des larmes m'échappent et se perdent dans mes cheveux.

— Tu crois qu'il y a quelque chose après ? je demande la voix éraillée.

Elijah ne répond pas tout de suite, sa main écrase la mienne avant que la pression se fasse plus douce.

— Je ne sais pas. J'espère. Ça permettra à Anthony et Thomas de continuer leurs disputes. Vincent lui trouverait un ange à qui il essayerait de refourguer un pied-à-terre hors du commun. Et au moins, ils seraient tous ensemble. J'aime à croire qu'une partie des Indomptables rit encore.

Je prends une brusque inspiration et ne dis plus rien. Je n'arrive plus à prononcer leurs prénoms à voix haute sans avoir envie de hurler. Même si Elijah est là aujourd'hui, je le sens s'éloigner de moi petit à petit. À chaque enterrement, ça devient de plus en plus dur de se regarder en face sans éprouver ce sentiment de trahison, de culpabilité. On se noie, on se distance, notre lien s'effrite. À qui la faute ? Je n'en sais rien, j'ai de moins en moins la force de m'accrocher aux parois de mon gouffre et Eli n'a peut-être pas de corde assez solide pour m'aider à remonter.

— Hailey, c'est l'heure, crie ma mère à travers la porte.

J'entends ses pas s'éloigner. On se ressemble énormément, la peau mate, les cheveux noirs frisés, mais j'ai des yeux gris hérités d'un ascendant encore inconnu jusqu'à ce jour. Mes parents sont d'un soutien sans faille, ils se sont occupés de tous les papiers à l'hôpital, ils m'ont réaménagé ma chambre qu'ils avaient déjà transformée en bureau pour ma mère. Ils sont aux petits soins pour moi. J'ai de la chance de les avoir, je sais que je devrais me raccrocher à ça, à eux, pourtant je n'y arrive pas.

— On devrait y aller, murmure Eli.

Je déglutis et serre le poing de ma main libre. Je suis à bout de force, toutes ces larmes cumulées ont eu raison de moi. Dire adieu encore une fois, voir les parents s'effondrer, car ce n'est pas l'ordre naturel des choses d'enterrer son enfant. Je sens Eli se tourner pour me faire face, alors je fixe ses yeux d'onyx. Je ne sais pas combien de temps je passe plonger dans son regard, mais mes tremblements cessent. Son pouce efface mes larmes, puis la paume de sa main se pose sur ma joue.

— Je serais là.

Je ferme les yeux et appuie mon visage contre sa paume. J'inspire longuement et ancre mon regard dans le sien. Puis ses lèvres effleurent mon front.

— Je serais là, répète-t-il.

Il se lève puis me tend sa main. Je noue mes doigts avec les siens, une fois debout il me serre longuement contre lui. Malgré mon corps douloureux, je me noie dans cette étreinte. Je pose mon front contre son torse solide et respire son parfum épicé. Épuisée, je le laisse m'emmener jusqu'à sa voiture. Mon regard se perd dans le vide pendant le trajet. Je me rends compte qu'on est arrivé à l'église seulement à l'instant où Eli m'aide à m'asseoir sur un banc derrière la famille. Le regard du père de Vincent croise le mien, la souffrance au fond de ses pupilles est écrasante, mon corps est secoué de sanglot silencieux.

Je ne vais pas y arriver.

Je me lève d'un bond et traverse l'allée en courant.

***

Hey mes Indomptables,

J'avoue, je ne commence pas de façon joyeuse, mais je vous avais prévenu. D'ailleurs, que pensez-vous de ce chapitre ?

Je vous préviens aussi, je ne vais pas être tendre avec mes personnages mouaha * sors son chapeau de sorcière*

A vendredi pour la suite ❤❤

Broken But Alive [EDITEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant