Chapitre 3

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Encore une journée. Encore une journée ici, avec tous ces gens qui me regardaient comme si je n'étais rien... Correction : avec tous ces gens qui me regardaient comme j'étais.

Non, il ne fallait pas penser à ces choses-là. Il fallait se divertir, regarder ailleurs... Ne pas regarder les élèves. Ne pas regarder les professeurs. Ne pas regarder ma famille. Ne pas regarder mes amis. Et si je le faisais, ne pas regarder plus de cinq secondes. Regarder quelqu'un plus de cinq secondes me semblait être une atteinte à la vie privée, car lorsque je regardais quelqu'un, je le sondais. J'avais tendance à vouloir connaître les personnes que j'avais en face... J'avais tendance à vouloir les cerner... Alors, sans même que ce soit fait exprès, je les perçais du regard. Un de mes professeurs m'avait dit un jour : « Tu regardes les gens beaucoup trop intensément. On dirait que tu les fusilles du regard en perpétuité, c'est ce qui te fait paraître arrogante. Et le fait que tu baisses les yeux juste après amène à penser que tu prépares un mauvais coup. » Et je me souviens avoir répondu : « Lorsque je regarde quelqu'un, je veux le regarder réellement. Je veux regarder qui il est. »

Afin de ne pas regarder les personnes qui m'entouraient, je regardais toujours les choses qui m'entouraient : les murs, les arbres, le plafond, le sol, aussi simples que soient ces choses. Je les regardais fixement, mémorisant chaque détail comme si... comme si tout ça, tout cet environnement qui était devenu banal aux yeux de tous, allait disparaître. Mais était-ce lui qui allait disparaître ou était-ce moi ? De toute manière, si c'était moi qui disparaissais, lui allait disparaître de mes yeux.

Ce cours était si long... même en regardant par la fenêtre... et en écoutant les oiseaux chanter et les branches bouger... même en regardant dans la classe... et en observant à quel point je n'étais pas à ma place... Mais d'ailleurs, où était ma place ? Probablement nulle part.

J'avais toujours fait partie de ces personnes qui n'allaient jamais bien. Allez savoir pourquoi ! Il est vrai qu'il y avait mieux... mais il y avait aussi tellement pire...

Au jardin d'enfants, je me faisais frapper.

A l'école élémentaire, je me faisais frapper.

Ici, au lycée, je me faisais moins frapper, mais je me faisais insulter et menacer.

En soi, le lycée était merveilleux comparé à avant, mais j'étais plus grande, je vivais les choses différemment, et puis... étrangement, c'était comme si ce que j'avais vécu au jardin d'enfants et à l'école élémentaire m'atteignait encore plus maintenant.

Les fois où l'on me volait mon écharpe. Les fois où l'on me frottait le visage avec des feuilles et qu'on essayait de me les faire bouffer pendant l'automne. Les fois où l'on me crachait dessus. Les fois où l'on me jetait exprès des ballons de basket dans la tête où qu'on les faisait douloureusement rebondir sur mon dos... Les fois où l'on me rappelait à quel point je faisais pitié, à quel point j'étais laide. La fois où l'on m'avait encerclée dans la cour, puis tabassée devant des tonnes de personnes qui m'apercevaient, mais qui, aveugles, ne me voyaient pas.

Toutes ces fois, je ne les vivais plus, mais je les revivais constamment.

Je ne me considérais pas comme une personne rancunière. Je pardonnais toujours et je ne gardais aucune haine de ce que l'on me faisait. Mais, chaque fois que l'on me faisait quelque chose, je ne l'oubliais jamais. De la chose la plus futile à la plus marquante. D'une dispute à une simple phrase comme il arrive d'en dire tant, en passant par un détail comme un panneau « Jeux interdits en dehors des heures scolaires » devant lequel on m'aurait frappée des années auparavant.

Les gens pensaient que j'avais oublié, que c'était loin derrière moi, mais je me souvenais toujours, et c'était toujours là avec moi.

Les gens pensaient que j'étais idiote, et là-dessus, je dois admettre que je pensais comme eux.

Le RêveWhere stories live. Discover now