10. RUPTURE (PARTIE III)

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- Comment ça va ?

La question avait simultanément fusé de la bouche de ma sœur et de la mienne. Nous ne sûmes trop que nous répondre sur l'instant. En réalité, ma première réflexion à mon réveil avait été de me demander comment j'allais pouvoir affronter cette journée. Nous n'avions absolument rien résolu, hier. Il restait encore trop de questions en suspens, trop de décisions à prendre. Je me sentais vidée à la simple idée de devoir revenir sur les évènements de la soirée. Et pourtant, cela paraissait inéluctable.

- J'ai l'impression d'être passée sous un train, répondîmes-nous au même instant.

Cela eut au moins le mérite de nous arracher un sourire complice. Je n'avais jamais su s'il s'agissait d'un phénomène propre à la fraternité, mais toujours était-il que Jane et moi avions toujours eu depuis notre plus tendre enfance la curieuse habitude de réagir et de répondre de la même manière au même moment, comme deux jumelles. Nos centres d'intérêts communs nous mettaient à ce point sur la même longueur d'onde que nous étions capables de nous révéler des suppositions parfaitement identiques sur l'avenir d'une série ou d'un livre – et le pire, c'était que nos prédictions tombaient souvent justes.

- Tu feras attention, j'ai dû bloquer la porte d'entrée avec une chaise, lança-t-elle en tendant le pouce derrière elle.

Elle s'écarta de l'escalier pour me laisser voir par moi-même.

- Ça te dérange si je l'enlève ? demandai-je en la contournant.

Jane haussa les épaules.

- C'est notre dernier jour ici, de toute manière. Ce n'est pas comme si ça avait de l'importance.

Je grimaçai en entendant ces mots tant redoutés. Lorsque j'avais rouvert les yeux ce matin-là, je m'étais rendue compte que ce serait très probablement la dernière fois que je passais la nuit dans notre maison d'enfance. Une part de moi avait immédiatement regretté tout ce qu'il s'était passé ces dernières semaines. Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même si nous devions nous en aller, à présent. Et pourtant, une autre part de moi, la plus égoïste de toute, n'aurait voulu pour rien au monde changer le passé. Ma culpabilité était d'autant plus grande que, malgré son apparente désinvolture, Jane était aussi affectée, sinon plus que moi, de devoir quitter Macon.

J'échappai à son regard en allant enlever la chaise, et faillis me prendre la porte en pleine figure, suite à un puissant coup de vent venu de l'extérieur. Je rattrapai le battant in extrémis et l'ouvris en grand malgré la fraîcheur, afin de respirer les odeurs matinales – la nostalgie n'avait pas mis longtemps à me gagner.

- Qu'est-ce que c'est ? s'éleva la voix de ma sœur dans mon dos.

Je me retournai en fermant la porte – mon débardeur ne se prêtait vraiment pas à la température extérieure. Je la vis se pencher pour ramasser un morceau de papier vierge traînant au sol.

- Fais voir, fis-je en constatant qu'il s'agissait en réalité d'une enveloppe.

- C'est entré avec le vent, observa-t-elle en haussant les épaules.

Je crus distinguer une drôle d'étincelle dans son regard lorsqu'elle me la tendit, mais je n'y prêtai pas plus attention sur le moment. J'avais déjà une vague idée de ce dont il s'agissait, mais n'avais pas la moindre idée de si cela augurait quoique ce soit de bon. Lorsque j'ouvris l'enveloppe et en extrayai la feuille, je fis glisser l'objet qui se trouvait à l'intérieur. Mais avant même que la gravité ne puisse l'attirer vers le sol, Jane le rattrapa avec une incroyable vivacité. Elle me prit l'enveloppe et posa dans ma main désormais vide une chose que je n'aurais pu oublier pour rien au monde.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant