2. RÉCIT ORIGINEL (PARTIE V)

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Gabriel me fit patienter quelques secondes dans le noir, le temps de jeter un coup d'œil dans le couloir pour voir si personne ne venait. L'obscurité était redevenue complète dès l'instant où il avait éteint son briquet. Mes craintes resurgirent – j'avais toujours eu horreur du noir complet. Heureusement pour moi, je me réveillais rarement la nuit. Cependant, quand cela m'arrivait, je pouvais trembler pendant des heures sans jamais me rendormir, hantée par des craintes que je trouvais souvent stupides le lendemain matin. Toutes mes inquiétudes avaient un point commun, cependant : j'avais toujours appréhendé que l'on ne vienne me tuer pendant mon sommeil. Et c'était bien ce qui avait failli m'arriver, cette fois.

Et voilà que maintenant, la peur me reprenait. J'étais loin d'être tirée d'affaire, après tout. Ma mise à mort était un échec. Oseraient-ils recommencer dans l'espoir d'un meilleur résultat, cette fois ? Non, tentai-je de me convaincre. Non, cela n'avait pas de sens. Tout ce que je devais me contenter de faire, c'était de suivre docilement Gabriel et de... quoi, lui faire confiance ?

L'intéressé m'attrapa par la main et me fit sortir de la pièce. Il reprit sa posture initiale et me guida en me tenant par les épaules. Je frissonnai. J'étais de nouveau en proie à la fraîcheur qui, bien que légère, restait vraiment désagréable.

- Ça ira ? chuchota-t-il.

J'acquiesçai. Le son émis par ma gorge fut légèrement tremblant. Il n'eut aucun mal à deviner mon angoisse.

- Ne te stresse pas, tout ira bien, continua-t-il sur le même ton. Tu en riras toi-même après, tu verras.

- Ça m'étonnerait, réussis-je à articuler.

- Tu vois la lumière là-bas ? me demanda-t-il tout-à-coup en désignant la lueur qui venait d'apparaître au bout du couloir.

Mon estomac se serra.

- On y est, cette fois, conclut-il.

Ma vue se brouilla quelque peu et j'eus l'impression de me déconnecter du moment présent. J'avais à peine conscience des murmures que j'entendais s'élever au fur et à mesure que nous nous rapprochions de la clarté vacillante. Il fallait que je me reprenne, que je puisse avoir une vision parfaitement claire de ce qu'il se passait, même si mon corps se refusait à m'obéir. Par un effort de volonté suprême, je parvins à me ressaisir juste à temps. Au moment où je repris pied dans la réalité, je venais de franchir le seuil de la pièce éclairée.

Celle-ci était proprement époustouflante. Elle semblait être entièrement taillée dans la roche, si ce n'était que le sol me semblait un peu trop régulier pour que cela puisse être réellement le cas. Du lierre grimpait le long des murs dans un entremêlement soigneusement taillé et s'étendait également sur toute la surface du plafond en forme de dôme, à peine clairsemée çà et là par trois ou quatre doubles-néons émettant une lumière diffuse. Au beau milieu de la pièce se tenaient parallèlement deux gigantesques tables en chêne, dont la taille imposante m'impressionna. Elles devaient facilement compter une quarantaine de places chacune. Je ne pris même pas la peine de me demander si nous pouvions réellement être autant à vivre dans cet endroit – j'en avais la preuve sous les yeux.

Entre les deux tables placées dans le sens de la longueur, des centaines de paires d'yeux épiaient mon entrée en scène. C'était une estimation certainement exagérée par le choc de me retrouver en présence d'autant de monde d'un seul coup, mais il devait bien y avoir une cinquantaine de personnes en tous cas, il n'y avait aucun doute là-dessus. Je sentis la chaleur me monter au visage et mon estomac se tordre un peu plus violemment encore que tout à l'heure. Heureusement que je n'avais rien dans le ventre, sinon, je n'aurais pas fait très bonne impression pour une première rencontre. Il y avait mieux comme premier contact que de vomir devant une assemblée qui avait le regard braqué sur le moindre de vos faits et gestes.

- J'espérais un comité d'accueil plus restreint, soufflai-je à Gabriel, le cœur battant la chamade.

Celui-ci pouffa. Ce que je venais de dire n'était pas vraiment une plaisanterie, mais il n'eut pas l'air de s'en rendre compte. Je jetai un coup d'œil en direction des spectateurs de cette scène et constatai que la plupart avait les sourcils froncés, certains en regardant leur camarade, comme s'ils se demandaient à quoi il jouait, d'autres en posant leur regard inquisiteur sur moi. J'esquissai un pas en arrière, redoutant quelque chose qui n'arrivait toujours pas.

Je m'étais attendue à ce qu'on me saute dessus, à ce que m'on frappe, à ce qu'on me tue, mais je n'avais pas prévu de me retrouver face à autant de personnes conservant une attitude aussi passive. L'un d'entre eux finit pourtant par se détacher du reste du groupe, et s'avança vers moi. C'était un homme noir qui devait avoir entre une cinquantaine et une soixantaine d'années, aux cheveux blancs et courts, à l'image de sa barbe. Je fis un second pas en arrière et marchai sur les pieds de Gabriel. Celui-ci ne se plaignit pas mais posa une main sur mon épaule, comme pour m'inciter à ne plus reculer. Il avait raison ; je devais faire face, même si je n'en avais pourtant pas la moindre envie.

Mon regard s'attacha à la blancheur du costume du vieil homme. Cela me rappelait étrangement la lumière éclatante de ma cellule dans le centre de conditionnement. Était-ce leur manière de me faire une piqûre de rappel ?

- Approche, m'intima gentiment celui-ci.

Je n'accédai pas immédiatement à sa demande. J'étais pétrifiée sur place – à croire que mon calvaire de tout à l'heure en rencontrant Gabriel recommençait, mais en mille fois pire, désormais. Le doyen du groupe – du moins, selon toute vraisemblance – attendit quelques instants avec un sourire affable. Malgré toute la gentillesse qu'il affichait, j'avais la curieuse sensation que cet homme n'était pas sain. Cette impression était probablement due à ma certitude qu'il ne faisait qu'attendre le meilleur moment pour finir le travail que sa collaboratrice avait commencé avant lui, mais pourtant... Il y avait autre chose dans son regard, que je ne parvenais pas encore à définir.

- Gabriel, aide-la, ordonna-t-il finalement devant mon absence de réaction.

Celui qui avait été mon guide jusqu'ici m'attrapa par le bras et me fit avancer jusqu'au milieu du passage, avant de me planter devant le vieil homme. Je lui jetai un regard trahi. J'avais eu la naïveté de croire qu'il n'était pas le complice de tout ça. C'était tellement stupide de ma part. Ses yeux rencontrèrent les miens l'espace d'un instant, avant qu'il ne détourne bien vite la tête. J'étais bel et bien seule, seule au monde. Comme je l'avais toujours été. Et ce n'était pas un garçon que je connaissais depuis dix minutes à peine qui allait voler à mon secours.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant