PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé

8. IDENTITÉ (PARTIE IV)

J'éclatai en sanglots. Il m'attira dans ses bras avec un profond soupir – de soulagement, bizarrement. Il devait être heureux que je me rende enfin à l'évidence.

- Je n'arrive pas à croire que j'ai pu oublier que je t'aimais ! m'exclamai-je, frôlant l'hystérie.

Il me berça, dans une tentative vaine pour me calmer.

- J'avais peur... tellement peur que tu te trompes, continuai-je confusément. Je ne voulais pas avoir mal, c'était déjà trop dur...

- Je comprends, assura-t-il en me repositionnant de manière à lui faire face.

- Ne m'en veux pas, persistai-je pourtant d'une voix brisée.

- Eireen, reprit-il, décontenancé, ce n'est pas de ta faute !

- Bien sûr que si ! Quel genre de personne suis-je censée être pour pouvoir oublier un truc pareil ?

- Ça n'a plus d'importance, m'apaisa-t-il en posant une main sur ma joue. L'essentiel, c'est que tu comprennes ce qu'il t'arrive. Je voulais que tu saches la vérité.

Je fermai les yeux, submergée par le remords. J'avais honte d'avoir eu la faiblesse d'oublier et de ne plus être capable de me souvenir aujourd'hui. Mais derrière tout ça, il y avait autre chose de bien plus grave : on m'avait tout bonnement effacé la mémoire et implanté une nouvelle vie à la place. Je ne pensais même pas qu'un tel tour de force puisse être possible dans la réalité. Nous n'étions pas dans l'un des bouquins dans lequel je restais plongée l'essentiel de mon temps libre. Mais vu le monde dans lequel je vivais, est-ce que je pouvais vraiment douter qu'ils aient les moyens techniques de faire ça ?

J'étais encore plus horrifiée dès que je me rappelais qui se cachait derrière ce « on » et ce « ils ». Les Duplicateurs. Ma communauté. La seule famille qui me restait après que les Cérébrals aient fait le ménage du côté de mon arbre généalogique. Et dire que cette histoire, que je croyais être mienne depuis plus de trois mois, avait été montée de toutes pièces... Tous les autres étaient-ils maintenus dans l'ignorance ou bien savaient-ils tout de ce que j'ignorais ? Je revis les visages de Santana, Dani, Sherry, Luther, Zane, Candy, Gabriel...

Pas lui, ce n'était pas possible, pas plus que les autres d'ailleurs. Sinon, jamais il n'aurait fait tout ce trajet pour me mettre dans la confidence, jamais il ne m'aurait protégée pendant tout ce temps. Aussi idiot et dangereux que cela pourrait se révéler, il était le seul auquel je faisais confiance envers et contre tout. Je devrais trouver un moyen de l'avertir d'ailleurs, même si je ne savais pas encore comment.

- Tout ça finira par te revenir, me rassura-t-il sur un ton chargé d'espoir.

Je compris qu'il était presque aussi sûr que moi de ce qu'il avançait. Autant dire, pas beaucoup.

- Je pense que j'ai un moyen pour ça, poursuivit-il en soutenant mon regard.

- Lequel ? lâchai-je, sceptique.

J'essuyai du revers de la main les traces humides qui serpentaient le long de mon visage. Je commençais à avoir sérieusement mal à la tête à force de lâcher la bride à mes émotions.

- J'ai téléphoné à Jane la nuit dernière, argua-t-il, et...

- C'était elle ? coupai-je, ahurie.

- Euh... oui, confirma-t-il, surpris. Mais comment tu sais que...

- Je t'ai suivi, confiai-je. Je voulais savoir ce que tu comptais faire de moi.

- J'avais besoin d'avoir son avis, expliqua-t-il alors. Elle est autant concernée que moi. Mais j'avais peur de le lui dire et que ça ne tourne pas comme on le souhaitait tous les deux. Évidemment, elle m'a tout de suite engagé à ne pas me laisser déborder par mes émotions. Elle voulait que je lui laisse une chance de te rencontrer. Elle pense que ça aura peut-être un effet particulier sur ta mémoire.

- Est-ce que tu y crois vraiment ? questionnai-je, dubitative.

- On doit essayer, répondit-il avec fermeté. On ne prend aucun risque à le faire, de toute manière.

- Ce que je veux dire, c'est que si ça n'a pas marché avec toi...

Je lui montrai mes yeux.

- Regarde avec toi, ce que tu représentes pour moi et la manière dont ça m'atteint physiquement.

Je crus voir une ombre sur son visage. Pitié, pourvu qu'il ne se sente pas coupable !

- Dans ces conditions, j'ai peur que... Enfin, je n'ai absolument aucun souvenir d'elle, reformulai-je. Je ne ressens absolument rien du lien qu'on a pu partager avant. Imagine qu'en arrivant devant elle, il ne se passe absolument rien. C'est elle qui aura le plus mal dans toute cette histoire, et je vais me détester encore plus.

- Ça se passera bien, souffla-t-il en m'attirant contre lui et en posant son menton sur ma tête.

Mais je compris qu'il partageait exactement les mêmes craintes que moi.

- Nous repartirons demain, annonça-t-il en me serrant contre lui.

- D'accord, acceptai-je, réalisant que c'était effectivement ma seule chance. Mais il faut que je prévienne quelqu'un d'abord.

Il se raidit.

- Tu plaisantes, j'espère ? rétorqua-t-il d'une voix grave.

Je me dégageai pour mieux le regarder en face. Il fallait qu'il comprenne que j'étais on ne peut plus sérieuse, au contraire.

- Gabriel n'est au courant de rien de tout ça, arguai-je à grand renfort de gestes de la main. Essaie de comprendre. Il a pris beaucoup de risques pour me prévenir de ce qui m'attendait.

Je fis exprès de rester vague. Je devais encore réfléchir à tout ce que l'intéressé m'avait dit avant d'en parler à Skyler. Pourtant, il n'eut pas l'air de vouloir en rester là.

- Tu cours un danger ? demanda-t-il avec une tension encore plus évidente.

- Non, le rassurai-je immédiatement, c'est seulement que ma communauté a exécuté des choses me concernant à mon insu. Mais je suis loin d'être la seule. Quand je suis partie pour cette mission à Gilbert, il y avait deux gars dans mon groupe qui sont partis de leur côté pour retrouver des Duplicateurs qui ont taillé la fuite. Ils s'en sont rendu compte parce que le téléphone de l'une d'entre nous était sous surveillance. Et donc, ceux de tous les autres aussi. Quand ils m'ont envoyé t'éliminer, c'était une sorte de test. Je comprends maintenant qu'ils ont juste essayé de voir si ça réveillerait ma mémoire ou non. Ils sauteront aux conclusions en ne me voyant pas revenir. Mais ce que j'essayais de te dire, c'est que Gabriel a fait tout ce chemin pour venir m'aider alors qu'il n'était pas censé le faire. J'ai peur qu'il n'en sache trop et qu'il court un danger s'il retourne au QG.

- J'ai l'impression que, toi aussi, tu sais quelque chose que tu ne me dis pas, contra-t-il en plissant les yeux.

- Je dois le prévenir, éludai-je en détournant le regard.

Skyler fit mine de réfléchir.

- Non, décréta-t-il simplement.