4. REPÈRES (PARTIE IV)

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Je sentis le stress monter lorsque je pris conscience que j'étais seule au milieu de cet espace gigantesque, sous le feu des projecteurs – au sens propre comme au figuré. Je repérai de nombreuses expressions d'encouragement – ma victoire sur Brooke la semaine passée m'avait permis de facilement m'intégrer au sein du groupe. Je ne connaissais toujours pas le nom de la plupart des personnes qui se trouvaient là, mais je me sentis néanmoins soutenue par la majorité. Neraja, qui était allée se poster droit debout à côté des gradins, fit un signe de la tête à deux garçons du deuxième rang, qui se levèrent immédiatement.

L'un deux s'approcha avec un long bandeau noir à la main et s'immobilisa dans une interrogation muette. Je pris une profonde inspiration, hochai la tête une fois et lui tournai le dos pour lui faciliter la tâche. J'eus à peine le temps d'entrevoir son camarade – je me souvins qu'il s'agissait de l'un des amis proches de Chris, Pharell – poser sa main sur le mur et commencer à faire glisser sur la gauche un panneau de contrôle, fondu derrière un pan de roche. L'autre prit soin de ne pas serrer le ruban trop fort - et pourtant, il y avait toutes les chances que je l'arrache si la panique me submergeait trop vite.

Je ne mis pas longtemps à comprendre pourquoi il n'était pas nécessaire qu'il prenne cette précaution. L'instant d'après, mes deux poignets étaient fermement serrés par un lien en plastique épais. Celui en charge de me neutraliser en fit autant pour mes chevilles et me fit avancer – ou plutôt sautiller - de quelques pas avant de s'éloigner finalement. J'entendis un grand crissement métallique, suivi d'un bourdonnement inquiétant. Tout-à-coup, une gigantesque vibration, émanant apparemment du sol, manqua me déstabiliser. Je réussis néanmoins à rester sur mes deux pieds, au prix d'un périlleux effort.

Au bout d'une minute de silence, le chaos démarra. La première chose qui retint mon attention fut un crépitement qui s'accentuait de seconde en seconde. Me parvint ensuite une odeur, presque agréable au début, qui finit pourtant par me faire tousser très rapidement. La température montait de seconde en seconde, collant mes vêtements à ma peau. Comme dans un ralenti, j'eus le temps de noter la moindre petite chose qui était en train de se produire. La goutte de sueur qui perla très doucement le long de ma joue, le bruit infime du liquide qui venait de s'insinuer sous mes pieds, le grondement du feu qui se rapprochait inéluctablement de moi. Ils vont me brûler vive, pensai-je alors que la chaleur commençait déjà à devenir insoutenable. Je me contraignis à oublier cette idée et m'obligeai à me concentrer. Il fallait que je me libère, que j'y voie d'une manière ou d'une autre. N'hésitant pas une seconde de plus, je testai prudemment une position semi-accroupie et soufflai un bon coup avant de me laisser tomber sur les fesses. Une pointe de douleur aigüe traversa mon coccyx et me fit un instant basculer sur le flanc. Mon idée avait intérêt à être bonne. Autrement, je serais dans l'incapacité de me relever.

De manière un peu trop précipitée, je posai mes poings sur le sol, contre le bas de mon dos, et m'appuyai sur mes mains pour les faire passer sous mes jambes. La manœuvre fut très douloureuse. Je dus me contorsionner au maximum, en sentant mes muscles sur le point de se déchirer, pour glisser mes mains le long de mes jambes pliées et les ramener au-dessus d'elles. Lorsque j'y parvins, une douleur sourde dans les bras me prévint que je les avais trop sollicités. Néanmoins, dans un dernier soubresaut d'énergie, je défis du mieux que je le pus le bandeau autour de mes yeux.

Après avoir ressenti l'horreur, je pouvais désormais lui donner un visage. Je me trouvais au milieu d'une sorte de petite arène ronde en verre. J'étais désormais imprégnée d'un liquide extrêmement odorant qui ne pouvait résolument pas être de l'eau – un combustible, très certainement. Ce ne pouvait être que de l'essence. Ma roulade m'avait permis de m'éloigner de quelques centimètres du filet qui s'était déversé jusqu'à moi. Je me rendis cependant très vite compte que plusieurs dizaines d'autres filets du même type convergeaient dans ma direction, s'éloignant de leur flaque originelle qui s'étirait tout le long de l'arène. Encore quelques secondes, et le feu ne tarderait plus à s'attaquer à moi. De l'eau. Telle était la seule pensée que j'étais encore capable d'avoir à ce stade. Autant d'eau qu'il en serait nécessaire pour éteindre mon bûcher. Mais bien sûr, aucune espèce d'aide extérieure ne vint.

Je n'avais pas crié une seule fois depuis que l'incendie avait pris – j'étais bien trop occupée à tousser, privée d'oxygène comme je l'étais. Je ne pouvais rien faire, absolument rien. Je ne savais pas ce qu'ils avaient espéré tirer de moi dans cette épreuve, mais il était évident que je ne serais pas à la hauteur de leurs attentes. À ce stade, autant accepter mon sort.

Je vis les flammes se rapprocher. Leur éclat jaune-orangé m'aveuglait, leur incandescence me brûlait le visage. Mais au-delà de cela, je sentis autre chose. Comme une sorte d'onde, une vibration qui entourait leurs silhouettes en mouvement constant. Je fermai les yeux, et me rendis compte que je la ressentais toujours. Cette vibration semblait être attirée par moi comme un aimant. Je la percevais de plus en plus nettement, à mesure que les secondes qui précédaient mon martyre s'égrenaient. Bientôt, je sentis une connexion nette s'établir. Mon être tout entier commençait lui aussi à vibrer et je me sentis rattachée à cette énergie puissante. Tel un proton et un électron réunis, j'étais liée à elle. Mais l'onde que je venais d'engendrer commençait à gagner en force, à tel point que je la sentis progressivement prendre le dessus sur l'autre et puiser en elle.

Le processus dura un moment. Alors que je sentais progressivement la chaleur s'estomper sur ma peau, j'avais le très net sentiment d'être en train de brûler de l'intérieur. Cette impression finit par diminuer en intensité, mais persista néanmoins. Désormais, j'avais seulement très chaud. Fiévreuse. J'étais fiévreuse. J'entrouvris les paupières quelques instants et constatai que le feu avait entièrement disparu. Ne subsistait plus qu'une lumière artificielle jaune pâle dans l'arène. Le danger semblait être passé. Mais j'avais sommeil, tellement sommeil... Alors que je m'évertuais à lutter contre l'engourdissement qui s'emparait de moi, je perdis connaissance.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant