CHAPITRE 2 : NOUS LE HAÏSSONS (1)

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Cette journée de cours fut à l'image de cette année scolaire : fade et assommante. Français, histoire, brocolis, maths... Rien de très palpitant en sommes.

Seule compensation : son prof de sport étant finalement absent, Gætan put terminer les cours deux heures plus tôt que d'habitude. Génial non ?

- Tu crois que je peux attenter un procès à la cantine pour incapacité de digestion ? demanda Justin, tandis qu'ils sortaient tous les trois dans la cour.

- Peu probable, répondit Gætan d'un air distrait.

- Mouais... Ils devront au moins repayer mes chiottes une fois que leurs brocolis seront ressortis, parce que ce sera pas beau à voir.

- Toujours aussi distingué, répondit Léonie en terminant d'étaler son verni jaune pissenlit sur ses ongles, et aussi un peu autour (et vous pensiez qu'elle n'était pas féminine ?).

- Excuse-moi, rétorque Justin en levant les mains en l'air, on a pas tous la chance d'avoir été élevé par des grands-parents normands champions nationaux de scrabble.

- Primo, je vois pas le rapport, deuxio, mes grands-parents, ils t'enculent à sec.

- Ah. Et donc, tu disais quoi à propos de la distinction ?

- Oublie. Gæt, tu m'accompagnes à mon cours de dessins ?

Pas de réponse.

- Gæt ? répéta Léonie en se tournant vers lui.

Perdu dans ses pensées, Gætan ne se rendit même pas compte qu'elle lui adressait la parole. Depuis le cours de math, il avait beaucoup de mal à se concentrer, il ne cessait de repenser à...

- GÆTAN !!!!

Le son lui perça les tympans et manqua de le déséquilibrer. Abasourdi, il regarda Léonie, qui l'observait, sourcils froncés :

- Tu m'écoutes ? lança-t-elle.

- Euh, oui, désolé..., répondit le jeune homme en rassemblant ses esprits.

- Je te demandais si tu voulais bien m'accompagner à mon cours de dessin, vu que t'as pas cours.

Gætan jeta un coup d'œil à ses ongles dégarnis, se demandant un cours instant si c'était une bonne idée de donner une feuille et un crayon à cette fille.

- Ouais, bien sûr, finit-il pas répondre.

Ils parvinrent à la grille du lycée.

- Tu pourrais aussi rester avec moi, maugréa Justin.

Suite à sa baisse de résultats, ses parents l'avaient inscrit à des cours de rattrapage en math et en physique, tous les lundis soir. Pendant que les autres rentraient chez eux, lui restait encore deux heures au bahut à alterner entre les postillons de Mme Dutranc et l'haleine parfumée à la fosse septique de M Tronque. Bref, il était ravi.

- Désolé mec, répondit Gætan en lui serrant la main, mais je ne me suis pas préparé psychologiquement pour une épreuve comme celle-là. En plus, j'ai plus de chewing-gum à proposer à M Tronque.

Justin lui jeta un regard horrifié puis fit mine de se tirer une balle et de se pendre dans un même temps (tout en saluant Léonie). Il tourna les talons et traina piteusement son cartable vers le bahut.

Le cours de Léonie ne se trouvait qu'à quelques mètres du lycée, à moins de deux minutes de marche. Mais plus qu'il n'en fallait pour cette dernière pour lui exposer toute sa théorie complotiste, qu'il n'écouta que d'une oreille distraite, selon laquelle on ne devrait pas faire confiance aux médias car ils utilisent la programmation prédictive pour nous laver le cerveau. Sa nouvelle lubie.

- Enfin, tout ça pour dire qu'il est plus que probable qu'ils soient tous de mèche et qu'en nous comportant comme des moutons de la société, on joue leur jeu, conclut-elle lorsqu'ils parvinrent devant la porte.

- Je suis bien d'accord, répondit Gætan.

- Heureuse de te l'entendre dire, dit Léonie avec un large sourire, satisfaite d'avoir su rallier quelqu'un d'autre à l'incontestabilité de sa théorie.

- Ouais... Bon bah, salut.

Il lui fit la bise et s'apprêta à faire volte-face lorsqu'elle le retint par le bras :

- Attend Gæt.

Il se retourna et elle plongea son regard azur dans le sien. Gætan attendit, espérant qu'elle n'allait pas développer la nécessité de se protéger des fausses informations véhiculées par les médias reptiliens.

- Tu es sûr que tout va bien ? demanda-t-elle finalement d'une voix douce.

Gætan détourna le regard. Il avait le sentiment que son amie pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert.

- Ouais, bien sûr.

- Gætan... Je suis ton amie, Ok ? Je vois bien que quelque chose t'occupe l'esprit, alors dis-moi quoi ?

Le jeune homme soupira puis céda :

- Il m'est arrivé un truc...

Mais il fut interrompu par un groupe de filles qui débarquaient en babillant, pochettes à dessin en mains. A en juger par leurs tenues et la couleur de leurs cheveux, elles suivaient le même cours que Léonie...

- Je te raconterai plus tard, conclut Gætan.

Léonie hésita puis hocha la tête et lui lâcha le bras :

- Ça marche. Alors, à plus.

Et elle s'engouffra dans le bâtiment, à la suite de ses amies délurées.

Gætan tourna les talons et prit la direction de son arrêt de bus. Tout en marchant, il ressortit le papier de sa poche. Dix chiffres. Un numéro de téléphone.

Plus il le relisait, plus il avait du mal à le croire. « Envie de faire ta connaissance », voilà les quelques mots qui accompagnaient le numéro. Mais était-ce possible ? Etait-ce vraiment possible que ce mot lui soit adressé, à lui, Gætan Madson, le gay du bahut ?

Après tout, pourquoi pas ? C'était bien dans son sac qu'il l'avait trouvé, alors quelle était la probabilité pour qu'il y soit tombé par erreur ? Mais quand même, ça semblait trop beau. Lui, Gætan, quelqu'un voulait faire sa connaissance. Lui !

Il semblerait que ses espoirs aient enfin été entendus. Nan, c'était trop beau ! Il relut une dizaine de fois le numéro, histoire d'être sûr. Pas de doute : il ne rêvait pas. Quelqu'un avait réellement glissé son numéro de portable dans son sac, dans l'espoir de faire sa connaissance. Soudain, il fut pris d'un horrible doute : et si c'était un piège, une blague idiote ?

Non, il ne pouvait pas se permettre de croire ça. Il devait y croire, cette fois-ci c'était sa chance. Depuis le temps qu'il attendait, il ne pouvait pas la laisser passer. Un sourire sur le visage, il sorti son téléphone et entreprit d'enregistrer le numéro dans ses contacts. Il en était au quatrième duo de chiffres quand soudain :

- Hey, la pédale !

Il releva brusquement la tête. Plusieurs informations lui arrivèrent en même temps : perdu dans ses pensées, il s'était trompé de chemin et avait marché à l'aveuglette. Il ne savait pas où il était. En quelques secondes, il fut encerclé par un groupe de jeunes qui se referma sur lui.


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