Chapitre 16

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"Je ne me suis jamais senti aussi bien !"

Les mots, simples, étaient sortis de sa bouche avec assurance.
La jeune femme derrière lui le regarda sans comprendre. Les larmes sur les joues de l'homme n'aidaient peut-être pas, et sa phrase devait paraître décalée étant donné son état. Ses yeux étaient cernés, son visage paraissait sale, et les pleurs qui le maculait ne lui donnait certainement pas bonne mine. Sophia crut un instant qu'il délirait, mais la lueur au fond de son regard lui fit savoir qu'Andrew n'était pas malade, loin de là. Comme l'affirmait l'écrivain, il était heureux. Heureux d'avoir compris ce qu'il était et ce qui l'avait rendu malheureux. Il pouvait enfin avancer, maintenant qu'il savait pourquoi il s'était arrêté. Et c'était un soulagement. Il ne savait pas encore si son problème de page blanche allait disparaître, mais avoir enfin pris le temps de se questionner, malgré la nuit houleuse qu'il venait de passer, lui avait fait du bien. Maurice avait eu raison.

Sophia, toujours un peu perdue, vint s'asseoir à côté de lui, dans l'herbe encore mouillée. Elle leva la tête pour le regarder se balancer doucement d'avant en arrière. Un long moment, les deux se contentèrent de regarder le paysage, sans ajouter le moindre mot. Puis, la jeune femme brisa le silence.

"Maurice disait que tu te trouvais, et que c'était pour ça que tu avais disparu. Personne n'a compris. Mais c'est bien ça, non ? C'est pour ça que tu as dit que tu étais heureux...

_ Oui, lui répondit l'écrivain. Je sais enfin qui je suis, et pourquoi je suis là. Je pensais qu'il fallait un évènement marquant pour le découvrir... J'ai sûrement lu trop de livres de fantasy, avec des batailles épiques dans lesquelles le héros ressortait toujours plus fort... En réalité, il suffit de s'interroger soit-même. Et je viens de découvrir que c'était très difficile, mine de rien.

_ Je vois ce que tu veux dire, affirma la rouquine en hochant légèrement la tête. Après avoir mis fin à ma carrière dans le mannequinat, je me suis demandé ce que j'aimais vraiment, si telle ou telle chose me plaisait réellement. Même acheter un gâteau suscitait des interrogations. Est-ce que j'aimais son goût ? Est-ce que j'avais seulement envie de le manger ? J'avais mis fin à un rêve, qui finalement s'était révélé être un cauchemar, et j'avais l'impression que je venais de tout perdre, de ne plus avoir aucun but dans la vie. Alors, j'ai décidé de changer de style. J'ai donné tous mes vêtements, et j'ai refais ma garde-robe avec des pièces qui, j'en était sûre, me plaisait. J'ai fait confiance à mon instinct, j'ai suivis mes envies. Si je voulais voir quelqu'un, je l'appelais. Si je préférais rester chez moi, à regarder une série, je le faisait. Et ça m'a beaucoup aidé. Faire des choses simples, uniquement car ça me faisait plaisir - ça pouvait être simplement manger une clémentine - m'a fait du bien. Toi, tu sais ce que tu aimes maintenant ?"

L'homme réfléchit un instant, sans pour autant quitter l'horizon des yeux.

"Je ne m'imagine pas vivre sans écrire. Je l'ai toujours fait, que ce soit pour envoyer des lettres, ou pour inventer des histoires. Alors je ne me vois pas arrêter. Mais peut-être que je me suis justement trop mis la pression. Qu'au lieu d'apprécier l'écriture telle qu'elle était, j'en ai fait une obligation, en me forçant à me poser devant mon ordi tous les jours. Qu'au lieu de laisser les mots jaillir, j'ai trop voulu les discipliner, les soumettre à une trame, à quelque chose qui ne correspondait pas à ce que je voulais aborder. Peut-être pas.Je n'en sais rien. Je sais juste que depuis tout petit, l'édition m'a toujours attiré. Mais peut-être qu'il était là le problème. Peut-être que je pensais trop au résultat, et pas assez aux étapes qu'ils y avaient avant. Que je voulais voir le livre fini, et que je regardais tout le processus de création et le travail qu'il y avait derrière comme une corvée. Que j'oubliais tout le bonheur qu'on pouvait éprouver à inventer des vies.

_ C'est ça que tu aimes quand tu écris ? Pouvoir choisir le destin de tes personnages, et être le maître de tout ?

_ Oui et non. Le projet commun me montre bien qu'il faut prendre en compte certains facteurs - en l'occurrence, l'avis de chacun - mais, quand je rédige un texte seul, je pense également à la fin du récit, aux passés des personnages principaux. Leurs personnalités doit coller avec ce qui leur est déjà arrivé. Je ne peux pas mettre en scène quelqu'un de tourmenté s'il a toujours tout eu pour être heureux. Il faut qu'il se soit produit un ou plusieurs événements marquants dans sa vie qui expliqueraient son comportement. Ce que j'aime – ou j'aimais – c'est plutôt les rencontres, qui font que le récit commence. Ou l'étincelle qui déclenche l'action.

_ Tu écrivais quelle genre d'histoire, avant devenir ici ? Du thriller, du fantastique ?

_ Plutôt de la fantasy, à vrai dire. Maintenant,je ne pense pas que j'y arriverais. Je préfère les cadres réaliste, comme on en a monté pour le projet commun.

_ Tu comptes lui donner un nom, à ce projet, d'ailleurs ?

_ Je ne sais pas, mais il faudra bien un titre à cette histoire ! Je demanderai à tout le monde à la prochaine séance. Il va d'ailleurs falloir qu'on définisse plus précisément l'histoire, il y a encore pas mal de boulot. Mais si, comme prévu, chaque groupe se concentre sur un chapitre, et en connaît tous les détails – il faudra glisser des allusions à chacune des parties du roman – ça devrait le faire. Bon, ça s'annonce être pas mal conséquent comme boulot, mais je pense que tout le monde est prêt à donner de ses idées pour que ça se concrétise. Ce sera beau...

_ J'imagine déjà le nombre de noms qu'il faudra inscrire sur la couverture ! rit Sophia.

_ Ça en fera pas mal, hein ? sourit Andrew. Mais pour ça, il faut se remettre au travail...

_ Et bien, qu'est-ce que tu fais encore là ?Allez, les autres t'attendent, et vont demander des explications à ta soudaine disparition, car j'ai beau avoir prévenu Emilia que je t'avais retrouvé, elle a pris le portable de Simon et me pose mille et une questions !

_ J'imagine que je dois laisser cette balançoire, donc...

_ Si tu tiens un minimum à la vie et que tu ne veux pas être noyé par la moitié du village, ce serait en effet une très bonne initiative. »

Mamie_grumpy
Taquapax

Chez JeanWhere stories live. Discover now