Natoo

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Extrait du témoignage audio de Natoo

Valérie m'a appelée un mardi soir alors que je prenais un verre à la terrasse du Carillon, rue Allibert. C'est un de ces bars qui a été pris pour cible le soir des attentats du 13 novembre. Quand elle m'a dit qu'elle était la mère de Lorraine, je ne savais pas ce qui était arrivé à Lorraine et j'ai pensé qu'il y avait un problème, qu'elle cherchait sa fille parce que Lorraine fréquentait régulièrement ce café ; c'est là que je l'avais rencontrée et on avait sympathisé avec le fil du temps. Quand j'ai eu le projet du magazine « Icoônne », le pastiche de magazine féminin, « Icônne, le magazine pour les C ... », Lorraine a été enthousiaste. Le côté potache, sans limite, la perspective de bosser dans la très bonne humeur. Enthousiaste et drôle, deux bons qualificatifs pour Lorraine. Elle avait donc le profil pour m'aider et elle était disponible, son CDD dans une boîte de prod pour France Television n'ayant débouché sur rien. Quand la mère de Lorraine m'appelle ce jour-là au Carillon, sur nos terres, je pense donc que cette dame que je ne connais pas cherche sa fille, qu'elle m'appelle parce qu'elle sait qu'on se voit souvent là. Je pressentais un problème mais pas ... pas ça. Après Icôone, j'ai eu la promotion, pas mal d'occupations. J'ai recroisé Lorraine occasionnellement au Carillon. Je n'ai rien vu. Et puis, il y a eu la fermeture après le 13 novembre. Je ne me suis pas inquiétée de ne pas la voir, d'ailleurs pourquoi l'aurai-je fait ? J'ai pensé qu'elle avait changé ses habitudes, par la force des choses, comme moi.

J'étais sidérée. C'est Valérie qui parlait. Je lui ai dit bien sûr que j'étais désolée, que j'aurais aimé faire quelque chose si j'avais su. Elle m'a dit de ne pas culpabiliser, que même elle n'avait pas vu. En revanche, je pouvais faire quelque chose mais pour l'avenir. Elle m'a demandé si je voulais bien l'aider. J'étais trop hagarde pour réfléchir et je voulais lui faire plaisir. Nous avons convenu de nous voir le lendemain, c'était le 13 justement, le 13 avril, à la terrasse du Carillon.

Quand nous nous sommes retrouvées, après nous être embrassées pour nous dire bonjour, nous sommes restées enlacées. C'est moi qui pleurais, c'est Valérie qui me caressait les cheveux pour me réconforter. Elle était ... très calme, apaisée. EIle donnait l'impression d'avoir passé un cap et de savoir comment avancer là ou moi je serais tombée à genoux. Quand nous nous sommes assises, elle m'a expliqué qu'elle ne voulait pas que la mort de Lorraine soit une mort inutile, une parmi tant d'autres, une avant bien d'autres vies gâchées ou perdues. Il y avait des millions de jeunes comme Lorraine qui avaient plein de choses à apporter et à qui on claquait la porte. Tous n'avaient pas le même parcours, heureusement, mais tous étaient mal traités. Elle pensait qu'il fallait mobiliser les Jeunes, leur faire prendre conscience qu'ils étaient roulés dans la farine par ceux qui disaient les défendre. Il fallait qu'ils comprennent que le système était organisé pour se protéger et que « eux » étaient durablement en dehors. Ensuite, leur démontrer qu'un autre modèle existait où les Jeunes trouveraient une place, en premier lieu, un travail et un logement.

J'étais bien sûr d'accord avec le constat des difficultés des Jeunes mais je n'avais pas réfléchi à la nécessité d'une action spécifique tournée vers eux. J'étais en revanche inquiète de ce que je croyais comprendre des solutions envisagées par Valérie. Je croyais qu'elle envisageait une démarche autoritaire, avec des réquisitions, des expropriations, ce type de méthode. Je lui ai dit que je ne faisais pas de politique et que les idées communistes n'étaient pas dans mon ADN. Je suis une ancienne policière tout de même. Elle m'a rassurée et sans entrer dans le détail, elle m'a assurée qu'il ne s'agissait pas de changer de monde, d'adopter les solutions « faut que – y'a qu'à » prônées par les extrêmes, de gauche ou de droite, mais de corriger le système. Elle était prof de sciences économiques et sociales. Pas prix Nobel d'économie mais elle promettait de me démontrer qu'il était possible de régler les « cancers », c'est le terme qu'elle a utilisé, les cancers qui rongeaient ce pays, chômage, pouvoir d'achat en berne, services publics paupérisés. En un quinquennat. Il lui fallait un peu de temps pour qu'elle puisse « raconter l'histoire », car c'était une « histoire », globale, à plusieurs facettes, qu'il fallait dérouler pour atteindre ses objectifs. Pas seulement quelques mesurettes. J'ai été d'accord bien sûr mais je ne comprenais toujours pas mon rôle.

Valérie m'a dit que ce discours vers les Jeunes ne pouvait être porté que par des d'autres Jeunes, en utilisant les media, les codes des 20-30 ans. Elle était dépassée et ne connaissait que ce que les parents finissent par comprendre en observant de loin leurs ados ; insuffisant pour prendre la main. Elle avait pensé à moi et peut-être à d'autres Youtubers. Un collectif de Youtubers renommés qui fonderait ensemble une chaîne à destination des Jeunes en vue des élections aurait un impact médiatique très fort. Et accessoirement, le risque d'image pourrait être important si la démarche n'était portée que par un Youtubers seul ; pour les media, ce Youtuber entrerait en politique par ambition personnelle ; s'il s'agissait d'un groupe de Youtubers qui avaient déjà séparément leur audience, leur réussite, leur réunion autour d'une cause serait déjà un événement, le début de la mobilisation. Du mouvement des Jeunes.

Elle avait identifié les Youtubers les plus connus Cyprien, Norman. Squeezie lui avait paru ... agité ; elle ne le voyait pas forcément faire quelque chose en dehors de ses commentaires de jeux vidéos. Pourtant, Squeezie a participé à des vidéos de Cyprien. Je l'ai confortée pour Cyprien ; très bien avec des vidéos qui sont de vrais courts métrages; beaucoup d'humour, fin, moins « agité » que Squeezie c'est certain. Cyprien, très bien aussi : drôle, pédagogique, look très pro des vidéos. Avec lui, on risquait d'atteindre jusqu'aux ados. Etait-ce la cible ? Mais j'avais conclu qu'avec moi, on irait jusqu'au trentenaires !

Finalement, je lui ai dit que j'allais les contacter ; que j'allais essayer de les convaincre ... puisque, si j'avais bien compris, il fallait que je trouve des camarades de jeu pour qu'elle me prenne !


NAO, Les YoutubersWhere stories live. Discover now