Chapitre 11

Depuis le début
                                    

Je me dirige vers la maison d'un pas plus léger, mais elle m'attrappe le coude pour me retenir. Je me tourne vers elle, interrogative, mais elle ne dit rien, se mordant la lèvre inférieure, les yeux rivés sur ses chaussures.

"Je voulais te dire... Je suis désolée," lâche-t-elle finalement. "Je trouve que ce type est super louche mais... je n'aurais pas dû me fâcher avec toi.

- Ne t'inquiète pas, c'est oublié. Je... Je sais que tu t'inquiètes juste pour moi. Merci.

- Tu m'as manquée."

Là je ne peux pas répondre, je la prends juste dans mes bras et je la serre fort en espérant qu'elle comprenne à quel point je tiens à elle. Avec elle à mes côtés, rien ne me semble insurmontable.

Subitement, elle me relâche et me repousse.

"On va être en retard au lycée, dépêche toi d'aller te préparer !"

Je suppose que certaines choses ne changeront jamais...

Assise dans le bus, blottie contre elle je lui raconte tout. Au fur et à mesure que je parle, j'ai de plus en plus de mal à dépasser le niveau du murmure, comme si mes souvenirs risquaient de se changer en mensonges si je les formulais à voix haute. Je sais très bien que rien de ce que je raconte n'est crédible, et je n'ai pas d'autre preuve que mes lunettes disparues et un gros caillou dans mon sac. Rien de bien probant, donc. Je n'ose même pas regarder Katia en face, j'ai peur de ce que je pourrais lire dans ses yeux.

"Tu penses qu'il va revenir ?

- Hein ?

- Le loup-garou," précise-t-elle, "tu penses qu'il va revenir ?"

Je lève enfin les yeux. Elle me considère, sérieuse, elle attend que je lui réponde. Elle me croit. Je frotte mes yeux d'un revers de main, chassant les larmes qui menacent de couler sur mes joues. Je n'avais pas réalisé à quel point j'avais peur qu'elle me traite de menteuse, ou qu'elle me prenne pour une folle. Même en sachant sur ça n'était pas son genre, l'angoisse pesait sur mes épaules.

"Non... Enfin peut-être. Je ne sais pas.

- Je ne comprends pas pourquoi il ne t'a pas attaquée. Je veux dire, okay t'avais fermé les verrous, mais c'est pas un coffre fort ta baraque non plus ! Si un cambrioleur déterminé peut y rentrer, un loup-garou ne devrait pas avoir trop de mal. Peut-être qu'il ne peut rentrer que si tu l'invites ?

- Je crois que c'est les vampires, ça.

- Et d'ailleurs, quand j'y pense," poursuit-elle en m'ignorant, "tu trouves pas ça bizarre que tu ne sois pas morte tout de suite dans l'Heure Floue ?

- Pardon ?

- Sans vouloir t'insulter, t'es quand même assez loin d'être la première de la classe en EPS. Et tu l'as distancé... tu trouves pas ça bizarre ?"

Elle a beau dire que c'est "sans vouloir m'insulter", je me sens quand même vaguement insultée. C'est pas de ma faute quand même si je suis petite. Je dois faire trois pas quand Katia en fait un seul, vous imaginez quand je dois courir !

"Qu'est-ce que j'en sais ? Peut-être que j'ai eu de la chance, peut-être que l'adrénaline m'a fait courir plus vite, peut-être qu'il aime juste jouer avec sa nourriture !

- Ça, c'est les chats.

- Tu m'excuseras de ne pas m'être arrêtée pour lui demander son pédigré, hein.

- Peut-être qu'il est malade ? Ça expliquerait le fait qu'il n'ait pas réussi à te rattraper, ni à rentrer dans ta maison, s'il est affaibli."

Je hausse les épaules. Au final, je me fous bien de la raison pour laquelle il ne m'a pas tuée, je veux juste que ça continue. La plupart des gens veulent vivre vieux et je ne fais pas exception à la règle. Katia a l'air vraiment intéressée par la question par contre, et google frénétiquement des mots clefs sur son téléphone.

"Je ne pensais pas qu'il existait autant de légendes sur les loups-garous, la vache...

- Ah bon ?

- Ouais, genre y'en a un en Écosse qui aime la pêche et qui laisse du poisson frais sur le rebord de la fenêtre des familles pauvres.

- Sérieux ?

- Sérieux. Ou alors, on dit que tu peux te changer en loup-garou si tu ne vas pas te confesser pendant sept ans d'affilé. Ou si tu manges de la chair humaine mélangée avec celle d'un loup. Ou si tu dors à la belle étoile un vendredi où la lune est pleine. Ou si tu bois de l'eau qu'un loup a touché. Ou si tu portes une ceinture en peau de loup. Ou si...

- Mouais. Ça nous avance pas des masses.

- Mais c'est intéressant, non ?"

Elle me fait un clin d'oeil et je ne peux pas m'empêcher de lui rendre son sourire. Quand elle est là, la situation me semble tout de suite moins dramatique, comme si tout ça ne valait pas le coup d'être pris au sérieux.

Arrivées au lycée, nous ne sommes pas plus avancées mais je me sens plus légère... Jusqu'au moment où je l'aperçois, adossé contre le portail. Alban. Princier, comme toujours, les bras croisés, il a l'air d'avoir été arraché à un tableau de la renaissance italienne. Il me fixe, sourcils froncés, cheveux couleur de lune agités par le vent, manteau de cuir tranchant avec le ciel gris. Je sens malgré moi mon visage s'empourprer et mon coeur s'accélérer sous le poids de son regard.

Katia me lance inquiet et je hoche la tête. On vient tout juste de se réconcilier. Même si j'aimerais comprendre d'où viennent ces sentiments étrangers et cette impression de déjà vu, pour le moment, retisser les liens avec mon amie est plus important. Je ne vais pas l'éviter mais je n'irais pas chercher sa compagnie non plus.

Alban n'a pas l'air d'accord, puisqu'il m'attrappe le coude et me retient au moment où je passe devant lui.

"Il faut qu'on parle."

l'Étreinte des TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant