— Connard ! s'indigne-t-elle en lui flanquant un léger coup d'épaule, je joue Rosaline.

Dans la version revisitée, Rosaline est le personnage fou amoureux de Roméo. Elle s'interpose entre lui et Juliette. Cyndia est aussi pimbêche que Rosaline, quelle ironie que ça soit elle qui joue ce rôle.

Nous débutons la répétition. Juliette et Roméo appartiennent chacun à une puissante lignée de boxeurs. À cause de querelles antérieures, leurs deux familles sont les pires ennemis qui n'aient jamais existé. Mais tout risque de changer lorsqu'ils apprennent que Roméo et Juliette devront être adversaires durant un tournoi national médiatisé de boxe. Il leur est strictement interdit d'échanger quelconques paroles. Mais si parfois, les gestes, les coups, exprimaient plus de choses que les mots ? Soyez attentifs, vous verrez-là les signes d'un amour interdit, d'un amour maudit, d'un amour scandaleux qui inviterait presque à la dérision.

En une heure, nous avons eu le temps de ne répéter que l'entrée en scène, la mise en place et les premières scènes. Quand je sors du gymnase, Jeanne m'intercepte au tournant d'un couloir.

— Hey ! Ivy ! Comment ça va ?

— Comme tu peux le voir, je suis en pleine forme.

— Je suis heureuse que tu n'aies rien. D'autres ont été moins chanceux. Martin mon binôme de biochimie a été brûlé au second degré.

— Outch. Du coup tu vas devoir te débrouiller seule pour les TP, plaisanté-je.

Jeanne me zieute avec de grands yeux, abasourdie.

— Tu n'es pas croyable, Ivy ! Rit-elle face à mon insensibilité. N'empêche que si je ne vais jamais dans des soirées c'est parce que ça tourne toujours au vinaigre. On n'est pas dans un film ici.

Je ne peux qu'être d'accord. Les deux uniques soirées auxquelles je suis allée depuis que je suis sous couverture se sont à chaque fois très mal finies.

— Tu viens ? On doit aller en Maths.

— J'arrive, deux minutes. Je vais chercher mes manuels dans mon casier.

Je longe les couloirs et me faufile entre les foules d'élèves avec Jeanne sur mes pas. Il y tellement de monde que ça crée un bouchon général. Je fouille mon sac à la hâte à la recherche des clés du cadenas de mon casier. Satanées clés ! Elles disparaissent quand j'en ai le plus besoin.

— Grouille-toi Ivy, on va être en retard.

— J'y suis, j'y suis.

Finalement, je les trouve au fin fond de la poche extérieure. J'ouvre mon casier et ce j'y vois m'arrache un cri de surprise. L'entièreté de mon casier est tachée de sang. Une tête de cochon égorgé est suspendue à l'intérieur. Un couteau de cuisine est planté au centre de sa tête.

Je lâche mon sac qui s'écrase sur le sol. Tous les élèves présents dans le couloir ont le regard rivé sur moi. Certains se moquent ouvertement, d'autres sont pétrifiés de terreur. Il y a un mot accroché au bout du couteau.

"Tu finiras comme ce porc si tu ne dégages pas d'ici dans les plus brefs délais"

Autour de moi les murmures commencent à fuser. J'ai envie d'exploser de rire. C'est tellement bateau comme canular.Mais la première chose à laquelle je pense est ma couverture. Comment aurait réagi Ivy dans cette situation ? Elle l'aurait mal pris, très mal pris.

Je chancelle à reculons, attrape mon sac et, les larmes ruisselant sur mes joues, je cours vers l'endroit isolé le plus proche. J'entends des voix qui m'appellent dans mon dos, mais je ne me retourne pas. Je m'enferme dans la première cabine des toilettes, balance mon sac contre le mur et me laisse tomber à genoux.

L'image de cet animal mort, ensanglanté, ses yeux qui me regardent grands ouverts... J'ai été confrontée à toutes sortes de mauvais coups, mais ça, c'est une première ! C'était original. Bien que je ne le prenne pas au sérieux, une part de moi se demande si l'auteur de ce message d'avertissement ne serait pas cet inconnu masqué ? Et s'il m'avait sauvée de cette cave en feu pour pouvoir mieux me torturer ensuite ? C'est un peu plus effrayant tout à coup. Il faut à tout prix que je découvre qui c'est.

Le regard vide rivé au loin, je reste assise contre la porte pendant plus d'une heure. Peut-être deux. Je ne sais pas. Au bout d'un moment, les portes des toilettes s'ouvrent et j'entends des filles jacasser.

— Clara je peux tester ton Mac teinte Twig ? Demande l'une d'entre elles.

— Est-ce que tu sais combien il m'a coûté ?! Hurle une autre à la voix stridente. Chérie, c'est une édition limitée. Il vaut plus que toi et ta maison entière.

— Vous êtes au courant de la nouvelle les filles ?

— Non quoi ? T'as intérêt à ce que ça soit croustillant Lola.

— Quelqu'un a pendu un cochon dans le casier de la petite Ivy.

— C'est qui Ivy ?

— La nouvelle amie de Liam, idiote !

— Oh mon dieu ! C'est énorme !

Elles gloussent en cœur comme des pimbêches.

— Vous auriez dû voir sa tête ! Ça valait de l'or !

— Qu'est-ce que j'étais en train de faire pour rater un truc pareil ?

— Tu donnais ta chatte à Tom dans le placard à balais. Allez venez les filles, on se barre.

Une minute plus tard, la porte des toilettes se ferme et je pousse un soupir las.

— Ivy ? T'es là ?!

Je sursaute. C'est Jeanne.

Elle toque à la porte.

— Je suis venue seule. Ouvre-moi s'il te plaît.

Je me relève. Je fais semblant d'avoir pleuré et pince mes joues pour leur donner une teinte rosée avant de déverrouiller la serrure. Jeanne m'inspecte. Elle a l'air bel et bien inquiète.

— Ça fait deux heures et demie que je te cherche. Ça va ?

— Je... Je suffoque et mes mains tremblent. Non ! C'était horrible ! Mais qui a bien pu faire une chose pareille ?

Jeanne, prise de pitié pour ma petite comédie, me prend dans ses bras et caresse mon dos de haut en bas.

— Le proviseur ne va pas laisser passer ça. Il va trouver qui en est le responsable. Ne t'inquiète pas.

Et durant le quart d'heure suivant, elle me réconforte en me répétant d'arrêter de pleurer et que ça va aller.

IVY REDWhere stories live. Discover now