Episode 4

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Dans Las Vegas, à l'écart du centre-ville et de son agitation, se dressait un imposant et magnifique manoir à l'européenne qui suscitait la curiosité des passants égarés. En effet, lorsqu'on vivait en plein désert, posséder un immense parc à la pelouse verte parsemée d'arbres et arbustes abondants était le signe extérieur de richesse ultime.

A l'abri de la douce fraîcheur qu'offraient les figuiers sycomores et les chênes, une femme était assise sur un banc en pierre sculptée, des lunettes de soleil protégeant ses yeux gris. Elle tournait d'un air absent les pages de La fausse subtilité des quatre figures du syllogisme, par Emmanuel Kant. Vue comme ça, elle semblait être l'une de ces femmes fragiles et délicates, cultivées, un peu absentes. Une beauté diaphane. Mais il ne fallait pas s'y tromper. Derrière ce masque de perfection sereine se cachait un esprit affûté comme le fil d'un rasoir. Sybille Benz n'était pas de ces femmes qui ne réfléchissent pas à ce qu'elles font. Sybille savait parfaitement ce qu'elle voulait, et elle le faisait. Parce qu'elle le pouvait.

Un nuage passa devant le soleil. Avec des gestes raffinés, elle referma son livre après y avoir inséré un marque-page, puis reprit le chemin de son domicile d'un pas tranquille.


Kimmy, Kimberley Benz de son nom complet, observait sa mère avec affection par la fenêtre de l'étage. Nul doute que ces deux là se ressemblaient beaucoup. Du haut de ses vingt et un ans, Kimmy possédait le charme, le mystère et l'intelligence acérée de Sybille. Dangereux de se fier à son apparence mutine de fillette trop vite grandie. Kimmy était au moins aussi ambitieuse que sa mère — si ce n'était plus. Elle esquissa un sourire puéril en entendant la porte s'ouvrir dans son dos à la volée.

Le jeune homme qui débarquait s'arrêta net lorsqu'il la vit au beau milieu de sa chambre. Il afficha un regard ostensiblement agacé avant de refermer derrière lui.


— Qu'est-ce que tu veux ? lança-t-il sur un ton agressif.
— Je n'ai pas le droit de venir prendre des nouvelles de mon petit frère bien-aimé, Andrew ?
— Oh, ça va. Tu me prends pour un con ? Tu viendrais pas me voir si t'avais pas quelque chose à me dire.


Kimmy se tourna face à son frère, sourire faussement innocent collé aux lèvres.


— Tu as vu la nouvelle recrue de papa ?


Andrew se laissa tomber sur son lit avec un soupir exaspéré.


— Non, et alors ? Il te plaît, c'est ça ?
— Voyons, Andy, voyons... Comme je suis ta sœur et que je t'aime, évidemment, je voulais te prévenir. Ce n'est pas une recrue ordinaire...
— Ah, vraiment ?
ironisa-t-il. Est-ce que je pourrais savoir le rapport avec moi ?
— Il a été engagé pour être ton garde du corps...
— Quoi ?!


Le garçon bondit de son lit, furibond, ses yeux lançant des éclairs. Kimmy n'avait pas perdu sa tranquille assurance. Elle savait quelle serait sa réaction. Elle le connaissait par cœur...


— Où est le problème ? Papa pense à ta protection, ça devrait flatter ton ego démesuré...
— Garde du corps, mon cul ! Tu sais aussi bien que moi que ça cache autre chose ! Pourquoi toi t'en aurais pas un, sinon ? T'es la plus faible de nous deux.
— Si tu le dis, Andrew...
, murmura la jeune fille avec un sourire de sphinx.

Viva Las Vegas [Terminée]Where stories live. Discover now