Episode 16

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Andrew White attendait, stoïque comme à son habitude, devant la grille encore close du lycée Bishop Gorman. Même l'influence de son patron ne pouvait le prémunir contre le concierge des lieux, revêche comme un vieux balai auquel il ressemblait déjà physiquement.

On attend les gamins dehors.

Vous êtes pas un gamin ni un prof.

Vous rentrez pas.

Le garde du corps se serait peut-être montré plus insistant s'il ne commençait pas à se dire que son rôle était notoirement inutile. Personne ne semblait vouloir s'en prendre à son protégé et il ne savait pas s'il y avait lieu de s'en réjouir ou non. Malgré l'atmosphère tendue qui pesait sur la pègre de Vegas ces derniers temps – et surtout ces derniers jours – il n'avait rien aperçu de suspect, même minime, sur les pas du fils Benz. Inutile de faire un esclandre dans un lycée pour si peu. Se faire remarquer était tout en bas de la liste de ses envies du moment.


White fit quelques pas pour se dégourdir les jambes et observer les alentours. Le ciel avait la couleur du plomb ce jour-là, et il semblait peser à peu près aussi lourd. C'était tout juste si on sentait un courant d'air se faufiler dans la rue, en provenance directe du désert, aussi sec et brûlant que ce dernier. Le garde du corps avait enlevé sa veste en conséquence, qu'il avait soigneusement pliée pour la poser sur la banquette arrière de la voiture et la laisser se dessécher là. Par ce que d'aucuns pourraient considérer comme un miracle, sa chemise blanche impeccablement repassée n'accusait aucune trace et il était difficile de croire qu'il attendait depuis dix minutes sur ce trottoir, par trente-cinq degrés.

Il pensait au désert. Un endroit où il semblait destiné à revenir sans arrêt. Peut-être qu'il le faisait exprès. Que son inconscient le poussait à y retourner. A recommencer. A rattraper ses erreurs – ou à les répéter.

Il n'avait pas de belle chemise blanche à l'époque. Ni de pantalon en lin gris ardoise. Il était engoncé dans son gilet pare-balles, un fusil d'assaut dans les bras, et il ne pouvait pas se permettre d'économiser ses mouvements pour éviter que la sueur ne vienne tremper ses vêtements. Et puis il y avait la poussière. Celle dans laquelle ils s'enfonçaient, qui tournoyait furieusement autour d'eux, rongeait leurs armes, essayait de les étouffer, de les empêcher de respirer, qui rentrait par le nez, la bouche, par spirales, qui venait se mêler à la transpiration pour former une seconde peau, dure et glacée, et le vacarme du silence avant l'attaque...


La cloche du lycée résonna, ramenant White à la réalité, à ses beaux vêtements et aux rues goudronnées et à sa voiture climatisée. Il se campa à nouveau devant cette dernière, le dos droit, les jambes légèrement écartées, et resta ainsi en attendant le gamin. Sans bouger. Sans tapoter du pied sur le sol, croiser et décroiser les jambes ou les bras, toucher ses cheveux, se gratter le nez, lisser sa chemise, mettre les mains dans les poches, se triturer les doigts, cligner des yeux, se racler la gorge. Il avait appris à maîtriser tous ces petits tics qui gaspillaient son énergie et pouvaient révéler une faille. A vrai dire, il n'avait plus vraiment besoin d'eux. Ses nerfs aussi avaient été transformés par le sable, le sang et la sueur, et ce mélange semblait plus dur à présent que le plus dense des aciers.


Ses yeux perçants repérèrent rapidement Andrew Benz dans la dernière vague des lycéens, comme il s'y attendait. Stratégiquement placé au centre d'un petit groupe d'élèves – ses amis, pour ne pas dire sa cour – il était apparemment en train d'en raconter une bien bonne. Ou peut-être que les courtisans exagéraient un peu leur hilarité ; ils avaient l'air prêts à se plier en deux et à se taper sur les cuisses à tout moment. Malgré son beau sourire crâneur, le petit prince n'était pas dupe. White croisa son regard et y vit ce qu'il percevait depuis un bon moment déjà : une étrange solitude.

Viva Las Vegas [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant