3. Treat you better

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Toujours le 23 janvier 2019

Rayane :

Je tourne en rond. Ça fait 3 ans que je tourne en rond, mais là, je tourne en rond littéralement. Je suis en train de tourner en rond dans mon salon. Il est plus de 2h du matin et je fais des tours dans mon appartement comme un lion en cage. J'ai ma fille dans les bras. Elle s'est mise à pleurer juste après que j'ai raccroché avec Denitsa et comme j'étais levé, Marie m'a demandé de m'en occuper. Elle pleure toujours d'ailleurs, je suis pas très doué avec les enfants. Du moins, c'est la conclusion à laquelle je suis arrivé depuis 8 mois. Je n'arrive pas à calmer ma propre fille, je m'enfonce depuis huit mois, j'ai l'impression d'être un père médiocre. On a tout essayé avec Marie mais rien n'y fait, je n'arrive pas à être suffisamment patient pour calmer Sofia. Je crois que Marie m'en veut de ne pas être le père qu'elle avait imaginé mais je n'y peux rien. Jusqu'à maintenant, je ne comprenais pas mais depuis deux mois, j'entrevois des brides de réponses. Peut-être que je n'arrive simplement pas à m'occuper de Sofia avec Marie, peut être que le problème vient de là. Je vous explique. Depuis que j'ai croisé Denitsa, depuis que j'ai reçu ce sms, je passe tous les jours à la crèche, même si j'ai changé Sofia d'établissement directement. Je le vois grandir, chaque jour, sans moi. Des fois il rit et j'ai juste envie de pousser cette porte pour aller rire avec lui ou le faire rire de plus belle. Des fois il pleure et je sais pas, j'ai l'impression que tout est clair. J'ai l'impression que j'ai juste à entrer dans la pièce et que tout sera clair, que je saurais comment faire pour le calmer. Cet enfant, je ne le connais et pourtant, j'ai l'impression que c'est une évidence... L'évidence. Ce serait que la deuxième de ma vie après tout. La première, c'était Denitsa. Ouai, quand on s'est rencontré, c'était une évidence qu'il fallait qu'on vive un truc ensemble. Hm. 5 ans plus tard je sais pas si je dis vraiment pareil mais bon. J'ai tourné la page, vraiment. C'est juste que... Ouai, j'ai un gosse que je connaissais pas. Ça change tout, vraiment tout. Et là, je suis comme un con à tenter de m'occuper de ma fille tout en ne pensant qu'à ce fils que je n'ai pas élevé. J'ai l'impression d'avoir été un mauvais père dans les deux cas. J'aime Sofia, vraiment, de tout mon cœur. C'est ma raison d'être, c'est le soleil de ma vie, mais il me manque un truc, un bout de moi et je crois que je viens de comprendre que ce bout, c'était Théo. Enfin, je crois qu'il s'appelle Théo. Je ne connais même pas son prénom, ni sa date d'anniversaire. Je suis médiocre. Le pire père qui puisse exister. Pire que le mien, champion Rayane. Il faut que je fasse quelque chose, il faut que je le rencontre, il faut que je le vois. Il faut que je sache si cette pièce manquante, c'est lui. L'électrochoc, je l'ai eu pendant les derniers mots de Denitsa. Théo, c'est les restes de notre amour et je crois que c'est ça qui me manque. Un souvenir de ce qu'on a vécu. Un souvenir de la plus belle histoire de ma vie. Je reviens doucement à la réalité en entendant Marie arriver. Elle me regarde en fronçant les sourcils.

« Rayane.. Tu viens te coucher ? Elle dort là, ça fait 15 minutes qu'elle pleure plus... »

Je secoue la tête doucement, donner le change, il faut que je me démerde pour paraître naturel. Je m'excuse en riant sur le fait que je dormais debout et je retourne me coucher avec celle qui partage aujourd'hui ma vie. Le matin, je me lève avec la ferme intention de pousser enfin la porte de cette crèche. Tant pis si c'est pas raisonnable, tant pis si c'est bon ni pour lui, ni pour moi, je ne peux plus vivre en sachant que mon propre fils vit sans son père. Je sais ce que c'est, je sais ce que c'est de n'avoir aucun repère fixe auquel se raccrocher et je refuse de reproduire les erreurs de mon père. Je m'occupe de ma routine quotidienne avant de prendre mon courage à deux mains. J'arrive devant le bâtiment et j'ai une énorme boule au ventre. Je sais que Denitsa me tuerait si elle me voyait faire ça sans elle, sans son accord, sans même lui en avoir parler ou en avoir parler avec Théo. Je ne sais même pas ce qu'elle lui a dit sur moi mais tant pis, je ne suis pas obligé de lui dire que je suis son père. Par chance, la dame de l'accueil me reconnaît et je ne galère pas trop à entrer en lui promettant des places pour une prochaine avant-première. Je rentre dans l'enceinte de l'établissement et pour la première fois, je le vois sans aucune fenêtre entre nous. Outch, électrochoc. La porte derrière moi claque et tous les enfants se tournent vers moi. Tous, sauf que je n'en vois qu'un. Nos regards s'accrochent. Donc c'est ça l'évidence. Même sensation bizarre que la première fois que j'ai accroché le regard de Denitsa. Et puis ça me frappe, son regard, c'est le mien. J'ai l'impression de me voir dans un miroir. Je ne sais même pas comment j'ai pu rater ça depuis deux mois. Je m'approche doucement et je me met accroupi à son niveau. Il a pas l'air farouche, parce que c'est lui qui entame la conversation sur son doudou, naturellement, comme si il me connaissait depuis toujours. Peut-être qu'il me connaît. Peut-être qu'il reconnaît ma voix, j'en sais rien. Il a bien du m'entendre parler pendant les premiers mois de grossesse de Denitsa. J'en sais rien, il est parfaitement à l'aise en tout cas et c'est presque déroutant. Au fur et à mesure, je me détend et j'oublie totalement où je suis et ce que je fais. Tout devient naturel. La pièce manquante. Je crois que je suis complet maintenant. Il faut croire que l'inconscient fait son travail. Il faut croire que là-haut, tout le monde voulait qu'on se rencontre. Tout ce que je sais c'est que là, rien ne m'a paru plus naturel que ça, même embrasser Denitsa ça l'était moins et dieu sait que c'était naturel. Le monde disparaît, c'est juste lui et moi maintenant.

Losing your memory Où les histoires vivent. Découvrez maintenant