Prologue

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L'homme était assis devant son ordinateur, à la table d'un petit café, les yeux rivés sur son écran. Il avait posé ses lunettes avec nonchalance sur la table, à côté de sa troisième tasse de l'après-midi. Sa chemise arborait quelques taches, et il ne portait pas son écharpe grise. C'était, de base, mauvais signe, concernant son humeur.

Car non, la journée n'était définitivement pas bonne pour Andrew Clive, anglais fraîchement débarqué en terre française, et, par la même occasion, écrivain amateur. Il fixait la page blanche qui la narguait depuis des heures – des jours, pour ne pas dire des mois ! Rien ne sortait. L'inspiration n'était pas là, il fallait se rendre à l'évidence. Et ce, depuis plusieurs mois. Aucun mot n'arrivait,son imagination semblait s'être mise en pause. Pourtant, quelques mois auparavant, tout allait bien. Il avait déjà achevé diverses histoires, mais aucune n'étaient réellement digne de l'édition. Non. Cette fois, il voulait faire quelque chose de bien, quelque chose qui scotcherait le lecteur, et ferait taire ses amis et leurs vannes stupides, une bonne fois pour toute.

Voyant à quel point son projet lui tenait à cœur, et la manière dont il peinait à avancer, sa tante lui avait proposé sa maison de campagne, en France, dans un tout petit village de pas plus de sept cent habitants. Le genre d'endroit où tout le monde connaissait tout le monde, où il ne se passait jamais rien, et où les plus gros ragots concernaient la taille des pommes du vieux Daniel, ou encore la triste fin du chat de la voisine. Alors, son arrivée avait fait jaser, dans un premier temps. Enfin quelqu'un allait s'installer dans la vieille ferme, inoccupée depuis des années ! Et puis, le voisinage s'était très vite rendu à l'évidence ; il s'agissait simplement d'un homme sans grand intérêt, qui avait pris pour habitude de se lever chaque matin comme tout le monde, de s'installer à une table Chez Jean, le petit café du coin, et de n'en bouger qu'à la fin de la journée. Ça ne plaisait pas à tout le monde. On n'aimait pas les fainéants,à St-Laurent-en-Campagne, et Maurice, habitué des lieux, avait clairement décidé de le faire comprendre au nouvel arrivant, depuis qu'il s'y était installé.

« Alors,lança-t-il, toujours là ? On ne se bouge pas beaucoup à ce que je vois ! Ils foutent plus rien de nos jours, ces gens de la ville. Il sont bien beaux avec leurs discours, mais quand il s'agit de faire quelque chose, c'est une autre histoire ! »

Andrew essuya la pique. Il s'était habitué à ce refrain. Généralement,au bout de quelques rires, il s'arrêtait. Cependant, l'homme avait l'air inspiré ce jour-là. Il continua donc.

« Et d'ailleurs, qu'est-ce que tu fiches ici, le petit nouveau ? On n'aime pas trop les gens qui se croient chez mémé ici, tu vois... Encore moins ceux qui ne se présentent pas. Depuis qu't'es là, on t'as pas beaucoup entendu... C'est quoi ton nom ? »

L'apprenti écrivain n'ouvrit pas la bouche davantage. Être traiter de« petit », à plus de trente ans lui semblait parfaitement ridicule. Son agresseur lui faisait penser à un gamin dans une cour de récréation. De plus, à en croire les trois bières qui s'alignaient sur le comptoir, il n'était plus tout frais. Il allait sûrement vite se lasser.

« Ben tu réponds pas ? Tu t'crois tout permis, p't'être ?

_ Maurice, stop, où je te mets encore à la porte, intervint une autre voix, avec autorité.

_ Oh, Emilia, on fait que rire !

_ L'autre n'a pas l'air de réellement s'amuser, poursuivit la dénommée Emilia. Et arrête de boire, tu me dois déjà de l'argent, n'oublies pas. »

Un léger borborygme se fit entendre, mais Maurice se tut.

Andrew se retourna, cherchant du regard sa sauveuse. La barmaid toisait encore son agresseur d'un œil sévère, mais s'approchait déjà de sa table. Il replongea aussitôt dans son manuscrit... ou du moins,son pseudo-manuscrit, mais la femme s'installa tout de même en face de lui. Il leva les yeux de son écran. Emilia était petite et ronde, ce qui ne l'allongeait pas. D'une soixantaine d'année, ses cheveux bruns tirant vers le gris attachés en un chignon défait, elle l'observait. Ils patientèrent ainsi quelques minutes, se regardant dans le blanc des yeux. Finalement, la femme rompit le silence.

« Bon. Ça fait déjà trois mois que tu viens ici, que chaque matin, tu t'assieds avec ton ordinateur, et que tu demandes un cappuccino. Le midi, tu manges une salade et un plat – le strict minimum – pour ensuite commander trois nouvelles tasses de café. Et honnêtement,c'est comme pour Maurice et ses bières. Passées deux, ça commence à faire beaucoup pour vos petits métabolismes. Je peux donc savoir ce qui te pousse à te lever chaque matin pour venir ici ? Ou même, ce qui t'a motivé à t'installer dans ce village, qui est –et de loin – rarement choisi par les touristes ? »

Andrew la dévisagea, refroidis par l'avalanche de question.

D'une voix quasiment dénuée d'accent britannique – il pouvait remercier sa mère de lui avoir appris la langue de Molière dès son plus jeune âge – il tenta tant bien que mal de répondre aux interrogations de la barman.

« Je m'appelle Andrew Clive, je suis le neveu d'Andréa Clive. Elle me prête sa maison pour une durée indéterminée.

_ Et, si ce n'est pas indiscret, en quel honneur ?

_ Je suis écrivain, et je dois terminer mon roman... Le problème est queje ne l'ai même pas commencé... Ma tante a pensé que le coin pourrait m'inspirer. Hors, je ne pense pas que ce soit le cas. Depuis que je suis ici, rien ne vient.

_ Tu devrais discuter avec les autres (elle désigna de la tête les occupants du café qui bavassaient joyeusement). Eux, ils pourraient peut-être t'aider. Ils se connaissent tous plus ou moins depuis leurs naissances, à quelques exceptions près. Ils ont grandi dans ce village, et ils l'ont fait grandir. Et puis, si tu leur passes leurs airs parfois râleurs, et leur côté peu accueillants au premier abord, ils sont tous très sympas. Ma clientèle sait se montrer accessible en cas de besoin, et je suis sûre qu'elle saura répondre à ton problème. Tiens, justement. Voilà Sophia qui vient me dire bonjour. »

Une grande femme rousse, dans la vingtaine, aux yeux clairs, et à l'allure de top-modèle – la suite nous éclairera sur ce point –entra dans la pièce, accueillit par les sourires des autres. Elle s'approcha de la table des deux acolytes, et, après avoir tiré une chaise vers eux, s'installa confortablement, prenant ses aises. Elle ne calcula pas le Britannique, se tournant vers la maîtresse des lieux.

« Salut Emilia, alors cette journée ?

_ Plutôt pas mal, même si, pour notre voisin, ce n'est pas la forme. Je t'apporte ta limonade habituelle, et je vous laisse discuter. Vous avez beaucoup de choses à vous dire à mon avis. »

Elle retourna derrière son comptoir, laissant les deux adultes l'un en face de l'autre. La jeune femme, très solaire, se tourna vers l'écrivain.

« Sophia Lorme, enchantée, sourit-elle en tendant sa main.

_ Andrew Clive, se présenta-t-il pour la seconde fois de la journée. De même. »


Hello à tous !

Nous sommes heureuses de vous offrir un livre écrit à quatre mains ! Nous écrirons chacune un chapitre sur deux, le tout en aidant l'autre, comme nous le pourront. Ce texte est un projet commun qui nous tient à cœur. Toute la trame été rédigée à deux. On espère que le résultat vous plaira, n'hésitez pas à nous donner vos avis !

@Mamie_Grumpy

@Taquapax


Chez JeanOnde as histórias ganham vida. Descobre agora