5. Rendez-vous (2ème partie)

47 9 1
                                    

La porte refermée, Marie se surprit à effleurer de sa main gauche le dos de sa main droite. Ce client la perturbait : tout, de son allure à ses propos, transpirait l'ambivalence. Elle ne savait pas ce qu'il lui inspirait le plus : répulsion ou envie de rire. Ses désirs les plus sombres ! Elle te l'aurait volontiers envoyé au diable, le sieur de Malefoy, avec ses remarques indiscrètes, s'il n'eût été un client qui demandait son aide. Ses désirs les plus sombres... elle n'avait pas cela dans sa besace, désolée ! Rien de ce genre. Des nuits étoilées et romantiques, voilà ce qui la faisait rêver !

Elle jeta un œil à sa carte de visite : originale ! Elle était écrite à l'encre rouge sur fond noir. Olivier de Malefoy, Société L.D.E.R.E., Président-Directeur-Général. Elle se demanda de quoi LDERE pouvait bien être l'acronyme. Elle regarda sur le web et ne trouva rien. Peut-être que la société n'était pas enregistrée en France ? Une bizarrerie de plus, à mettre au compte de cet étrange client.

Elle décida de le chasser de ses pensées et de tout narrer à Angel le soir même, comptant bien sur sa longue expérience pour construire le projet. Elle espérait que sa fréquentation répétée des âmes noires viendrait alimenter leur créativité.

Pourtant, malgré sa décision de l'oublier jusqu'au soir, cet après-midi-là, pendant la sieste de Marc, assise à son bureau, quelques flashs vinrent interrompre le cours de sa concentration sur des tâches administratives. Elle vit une femme se faire arracher sa nuisette de dentelles noires par une main puissante qui la plaquait violemment contre un mur, elle vit un homme aux bras suspendus à un anneau, les mains menottées, elle entendit des gémissements, des râles... D'où lui venaient de telles hallucinations ? A chaque fois, elle secoua la tête pour évacuer ces perturbantes visions.

Quand Angel rentra cette nuit-là, tard, bien tard, elle dormait depuis longtemps déjà. Elle faisait un étrange rêve : elle s'avançait dans la salle de bal d'un palais vénitien, éclairé par la seule lumière bleutée de la pleine lune. Elle portait une robe à crinolines et une cape, noires, dont la capuche dissimulait son visage orné d'un loup de velours sombre. Autour d'elle, des ombres chuchotaient, se frôlaient, portant elles aussi d'élégants costumes d'époque et des masques. Elle traversait la foule, à la recherche de quelqu'un. Elle montait un grand escalier, arrivait sur une coursive qui surplombait toute la salle de bal, elle ouvrait une première porte. Derrière les voiles d'un lit à baldaquin, elle devinait deux corps se livrant à des jeux intimes. Elle poursuivait sa quête et poussait une seconde porte. Autre lit à baldaquin, plusieurs corps, des murmures, des gloussements, des rires étouffés. Puis une troisième porte, entrouverte. Un homme l'attend sur un balcon. Sa silhouette est détourée par les rais argentés de la lune. Elle ne voit pas son visage. Elle s'avance vers lui. Il lui tend une main qu'elle saisit. Il la fait pivoter et vient se placer derrière elle. Il dépose des baisers dans sa nuque, passe ses mains sous la cape et défait un à un les lacets de sa robe, qu'il fait glisser sur le sol. Il la tourne vers lui, il l'attrape par la taille et la plaque contre lui. Il l'embrasse. Un vent léger soulève sa cape. Il se saisit des cordons qui la nouent. Il les dénoue et laisse le vêtement choir. Elle est nue. Nue sur le balcon. Nue dans l'enfilade de la porte ouverte qui donne sur la coursive et sur la salle de bal. Exposée aux caresses de la brise et aux regards masqués. Elle tremble, elle a froid, elle a chaud. Il l'entraîne vers le lit. Elle s'allonge. Il vient sur elle. Elle aperçoit ses yeux. Vairons.

Marie se réveilla avec une impression de malaise. Troublée par ce bal libertin. Une première pour elle, même en rêves ou en pensées. Troublée par la délicieuse excitation qui l'avait saisie crescendo et dont elle gardait un clair souvenir. Troublée par les yeux qu'elle avait aperçus à la fin du songe et qui reliaient trop évidemment son égarement nocturne à son visiteur de la veille. Se pouvait-il que ce dandy agaçant eût fait remonter d'obscurs désirs en elle ? Elle en détestait l'idée, tout comme elle détestait ce personnage maniéré. Elle ne voulait rien avoir à faire avec lui, en dehors de rapports strictement professionnels. Qu'il s'immiscât dans le secret de ses songes la révulsait. Quelles portes avait-il ouvertes ?

Angel & Marie - T. 2Where stories live. Discover now