2. Bataille (2ème partie)

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Sans lâcher le bras d'Angel, elle fit un pas en avant, se mit de côté, de telle façon qu'elle avait le camp des Ténèbres à sa droite et celui des Anges à sa gauche. D'une voix forte, mais d'un ton glacé par la colère, elle dit :

— Très bien, une fois de plus, vous êtes tous prêts à prendre une décision sans tenir compte de moi. Vous êtes tous pareils : les deux furax, les Juges, mais toi aussi Angel. On dirait que ma parole vous importe peu. On dirait que l'amour que je porte à Angel est sans importance. Vous pensez tous pouvoir décider à ma place. Très bien, décidez, décidez ! Moi, contrairement à vous, j'entends votre parole et je vais respecter votre décision. Angel ira en Enfer s'il le veut. Mais je vous l'annonce, et j'en fais ici le serment, je l'y accompagnerai, je...

Marie fut interrompue dans sa tirade par un bruit strident. On aurait dit que des centaines de ballons de baudruche se dégonflaient en même temps ou que mille agonisants émettaient un dernier sifflement. Marie tourna son regard vers l'origine de ce son d'outre-tombe. Elle vit alors le camp adverse pris dans les affres de ce qui paraissait une soudaine décomposition. Leurs silhouettes se floutaient, se tordaient, tous leurs visages étaient défigurés par d'horribles rictus. Le bas de leurs corps semblait effacé par une gomme géante et se dissolvait en particules comme des grains de sable que l'on aurait laissés filer entre les doigts. 

Et soudain, comme si on avait ouvert une bonde dans une baignoire, la masse de leurs images en désagrégation sembla aspirée vers un point à l'horizon. Dans un tourbillon, elle s'y engouffra et disparut au loin, laissant place à un étrange calme.

— Que s'est-il passé ? demanda Marie, estomaquée, au vieux Juge.

Elle ne comprenait pas comment ni pourquoi, au beau milieu de l'une de ses phrases, la terrifiante armée des Ténèbres s'était volatilisée. Etait-ce une nouvelle ruse ?

Le vieux Juge affichait un sourire satisfait. Il ne semblait pas le moins du monde surpris par ce qui venait de se passer.

— Ma chère enfant, vous les avez mis en déroute ! dit-il d'une voix joyeuse.

— Moi ? Mais je n'ai rien fait !

— Oh si ! Vous avez fait exactement ce qu'il fallait et que j'attendais que vous fassiez.

— Comment ça, que vous attendiez ?? interrogea Marie, suspicieuse.

— Oui, ma chère Marie, je comptais bien que vous ne laisseriez pas Angel se sacrifier seul, répondit-il amusé.

Marie ne partageait pas du tout son amusement.

— Vous comptiez bien ?? Mais vous ne m'en avez rien dit ! lui lança-t-elle d'un ton énervé.

— Ah Marie, comme j'aime vos saines colères ! répliqua-t-il de plus en plus égayé.

Que le Juge loue ses colères était bien la dernière chose à laquelle Marie se serait attendu ! Mais elle tut sa surprise pour le laisser poursuivre.

— Laissez-moi vous expliquer : en faisant le serment d'accompagner Angel, en faisant à votre tour un tel sacrifice, vous promettiez d'amener en Enfer la seule puissance capable de perturber le Mal : celle de l'amour. Un couple prêt au sacrifice ultime, au-delà même de la mort, par amour, c'eût été un beau bazar dans les territoires infernaux ! Vous auriez constitué un germe capable de déstabiliser les forces du Mal. Sans le savoir, Marie, vous avez opposé aux Ténèbres la seule force capable de les contrer. Devant cette débâcle assurée, le Diable a certainement jugé préférable de rapatrier son armée immédiatement...

— Mais pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus ? l'interrompit Marie, guère calmée.

— Pour que votre sacrifice opère, il fallait qu'il soit consenti de votre propre chef, pas à mon instigation. Si je vous l'avais suggéré, il aurait perdu sa valeur. Il fallait qu'il vienne de vous.

— Et si je n'avais rien dit ??!! explosa-t-elle.

— Oh, mais nous n'avions aucun doute ! Nous commençons à bien vous connaître, chère Marie. Il était évident que, dès lors qu'Angel s'apprêtait à se sacrifier, vous décideriez de l'accompagner. Nous vous savons capable de tout, de bousculer toutes les lois, tous les ordres établis, dès qu'il s'agit de préserver votre amour !

Angel, qui n'avait rien dit jusqu'alors, tout aussi abasourdi que Marie, tira sur la main de cette dernière. Il l'attira contre lui et, déposant un baiser sur son front, il se contenta de dire :

— Merci.

Marie prit le visage d'Angel entre ses mains et avant de coller ses lèvres sur sa bouche, elle lui dit les yeux dans les yeux :

— N'essaie plus jamais de m'abandonner.

En pressant ses lèvres à celles d'Angel, on aurait dit que Marie voulait l'aspirer pour s'assurer qu'il était bien de nouveau tout à elle. L'engagement qu'elle mettait dans ce baiser semblait à la mesure de la terreur qu'elle avait eue une nouvelle fois de le voir séparé d'elle. Elle paraissait ne plus vouloir se détacher de lui.

Emettant d'abord un petit toussotement courtois, le vieux Juge prit la parole :

— Angel et Marie, nous avons un jugement auquel nous devons procéder. Nous allons rejoindre pour cela le Juge resté près de vos deux protégés.

Marie s'écarta un peu d'Angel et tressaillit. A peine venait-elle d'écarter une menace qu'une nouvelle s'abattait sur eux. Et elle ne savait pas quelle était celle à redouter le plus. Pour une fois, elle réfréna son envie de protester immédiatement. Elle préférait fourbir ses arguments. Elle se mit à réfléchir à toute vitesse, envisageant toutes les hypothèses de la future sentence des Juges. Elle ne croyait pas à leur clémence. Elle allait de nouveau devoir se battre, elle le savait.

Le vieux Juge se tourna vers l'armée des anges :

— Que chacun retourne à sa mission !

Aussitôt dans un tintement mélodieux, les milliers d'anges s'envolèrent.

— Suivez-moi ! ajouta-t-il à l'attention d'Angel et Marie.



Angel & Marie - T. 2Donde viven las historias. Descúbrelo ahora