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Je dois reconnaître que séjourner dans un bon hôtel a au moins un avantage : on peut oublier pendant des heures qu'on est un lycéen ingrat.

Je passe ma première soirée à Aspen assise dans le hall, à faire semblant de lire Sa Majesté des mouches tout en observant les clients. Je commande une tasse d'earl grey au bar. Je me sens très adulte... Jusqu'au moment où un jeune homme en costard m'aborde et me demande sur un ton mielleux où se trouve la discothèque. Je réponds en bafouillant :

- J'en sais rien, je suis encore au lycée !

Le lendemain matin, j'essaie de me rattraper. J'adopte un look sophistiqué en mettant mes plus grosses lunettes de soleil et mon imper vintage cintré, et je sors me promener autour de l'hôtel. L'expérience se révèle très amusante. Les gars, jeunes et vieux, me matent en passant, l'air curieux, comme s'ils essayaient de me cerner.

Plus tard, tandis que, à la terrasse d'un célèbre café, je sirote un expresso avec un zeste de citron tout en feuilletant le dernier exemplaire de Vogue, j'appelle Emily pour une partie de "Devine où je suis". Elle joue le jeu à fond :

- T'es glamour ou ridicule ?

- Glamour.

- Vintage ou XXIe siècle ?

- Plutôt vintage.

- Côte Est ou Côte Ouest ?

- Entre les deux.

- Il y a des célébrités autour de toi ?

- Il y a des photos de célébrités au mur - dédicacées.

Entendre sa voix me donne soudain très envie de la revoir. Emily est la seule amie qui me comprenne vraiment à ce stade de ma vie.

*

Ce soir-là, mon père est invité à un dîner très chic et puisque les autres convives ont des enfants en âge d'aller au lycée, je dois venir aussi.

Papa conduit notre SUV de location jusqu'à un bungalow isolé au beau milieu des bois. Là-bas, après les présentations de rigueur, je dois me montrer sociable avec les autres ados présents. C'est plus à dire qu'à faire. Amy Smithline, ma voisine de table, n'arrête pas de la ramener parce qu'elle a été acceptée à l'université Columbia de New York.

- C'est une des meilleures universités privées de la côte Est, me répète-t-elle au moins trois fois, et une des plus anciennes. On a tendance à l'oublier parce qu'elle est située à Manhattan mais, à mon avis, c'est le top. Elle est à la fois élitiste et moderne, tu vois. Il aurait fallu me payer pour aller à Yale. T'as déjà visité New Haven ? C'est un trou à rats !

Après le dîner, je me réfugie près de la cheminée, à côté de deux garçons prénommés Peter et Chad. Ils ont trouvés un prétexte intelligent pour fuir Amy Smithline : ils font griller des marshmallows. On bavarde un peu. Je les regarde manger.

Puis ils me demandent si j'ai envie d'aller promener le chien avec eux. Au début j'hésite, mais ma mère, sur qui je peux toujours compter, m'ordonne de les accompagner. Elle prétend que ce sera chouette, que j'ai besoin de sortir et que l'air de la montagne me fera le plus grand bien.

Alors j'obéis. On mets nos manteaux dans les couloir d'entrée. Peter et Chad sont mignons tous les deux, dans le genre preppy classique. Ils portent des parkas hors de prix, des après-ski L.L.Bean et des bonnets norvégiens.

Ils vont chercher le chien et on l'emmène dehors. Après avoir parcouru quelques mètres seulement sur l'allée, Chad sort un joint de la poche de son manteau et l'allume.

Je ne fais aucun commentaire. Je ne suis pas surprise, mon petit doigt m'avait dit qu'ils fumaient. Chad tire une grosse bouffée et tend le joint à Peter. Peter tire dessus à son tour avant de me l'offrir. J'esquive en me baissant pour câliner le chien.

- Non, merci.

- Tu ne fumes pas ? S'exclame-t-il, étonné.

- Non.

- Pourquoi ?

- Ça me.. donne mal à la tête.

- Moi, ça soulage plutôt mes migraines ! Plaisante Chad.

Peter prend une autre taffe.

L'odeur de l'herbe est trop bonne. Elle me fait tourner la tête et je sais que je dois m'écarter. Je laisse le chien m'entraîner au bout de l'allée. Je ramasse un bâton et je l'envoie au milieu des bois. Je continue mon chemin jusqu'à ce que les garçons soient hors de vue.

Mais dans le silence de la forêt, je les entends toujours chuchoter devant le bungalow :

- Je déteste les filles rabat-joie, déclare Chad entre deux bouffées.

- C'est dommage, elle était mignonne, répond Peter.

- "Ça me donne mal à la tête" ? Bien sûr ! C'est juste une gonzesse coincée, c'est tout.

Je retrouve le bâton et je le lance de nouveau. Le chien s'enfonce plus loin entrés les arbres. Je cours derrière lui.
Quelques minutes plus tard, Chad crie :

- Hé, machine ! Ramène le chien quand t'auras fini ! On rentre.

- D'accord ! Je hurle.

Dès qu'ils sont partis, je me couche dans la neige en soupirant de soulagement.

Le chien me rejoint par petits bonds joyeux, me saute sur la poitrine et me lèche le visage.

Addiction [TERMINÉE]Where stories live. Discover now