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Et un jour, Emily rassemble ses affaires. Elle est allée au bout des vingt-huit semaines dans le pavillon de réadaptation. Elle rentre chez elle.

Je ne sais pas pourquoi j'ai refusé de la considérer comme une amie jusqu'à maintenant. Mais à l'instant où je prend conscience qu'elle s'en va, je panique au point d'en avoir la nausée.

Assise sur son lit, je la regarde plier et fourrer ses vêtements dans sa valise. Elle s'inquiète au sujet de ses cigarettes parce qu'elle a dit à ses parents qu'elle avait arrêté, alors que c'est faux. Elle tente de les cacher à plusieurs endroits, se demande si elle ne devrait pas en profiter pour arrêter et sort en griller une en réfléchissant à la question. Je ne parle presque pas. Après le départ d'Emily, il ne restera plus qu'une jeune dans le pavillon à part moi : Kylie. Je ne peux pas devenir amie avec elle. Impossible. Elle est horrible. Une bête sauvage.

Emily me laisse le maquillage qu'on a acheté au Rite Aid, ainsi que les barrettes et le gloss pour les lèvres. Elle veut me donner des trucs, parce que c'est ce que font les gens quand ils se disent au revoir. Moi aussi, je voudrais lui offrir un souvenir. Mais on n'a rien, en dehors de quelques fringues moches de nos joggings et des bricoles qu'ils nous autorisent à garder ici : romans pourris, barres chocolatés, chewing-gums...

Elle me refile un jeu de cartes dont elle avait oublié l'existence et qui n'a jamais été ouvert. Je le lui échange contre un porte-clés en plastique qui n'a aucune signification particulière.

- Je vais vraiment essayer de décrocher cette fois, me déclare-t-elle à voix basse. J'ai renoncé trop facilement, jusqu'à maintenant. Là, je vais faire du yoga, de la méditation, aller aux Alcooliques Anonymes et tout..

J'hoche la tête, pleine d'espoir.

Je l'aide à porter ses affaires jusqu'au perron. Puis on s'assoit. Sa mère ne devrait pas tarder. Les yeux rivés sur le bras du fauteuil, je pense à tous ceux qui se sont installés à cette place en attendant qu'on viennent les chercher, en attendant de commencer une nouvelle vie. En réalité, très peu ont la chance d'obtenir un nouveau départ. La plupart retournent droit à leur anciennes habitudes. Ashley n'arrête pas de le répéter. Les statistiques ne sont pas belles à voir.

Un Cadillac noir surgit sur la route et se gare devant le pavillon. Je découvre la mère d'Emily. Elle lui ressemble beaucoup. C'est une sorte de version plus âgée de sa fille. Elle a des cheveux blond platines, un look très femme d'affaire et à l'air stricte. Sa mère traverse prudemment la cour boueuse afin de protéger ses chaussures à talons. Arrivée devant nous, elle prend Emily dans ses bras. Elle semble épuisée nerveusement. Inquiète aussi et aimante. Puis, Emily fait les présentations.

Ça me tue. Sérieusement. Ça me fend le cœur.
Lorsque je m'avance pour lui serrer la main, elle me dit :

- Emily m'a beaucoup parlé de toi. Il paraît que tu as été une très bonne amie pour elle.

- Je n'ai rien fait d'extraordinaire, je marmonne.

- Merci, insiste-t-elle en me donnant une poignée de main chaleureuse. Merci beaucoup.

Nous traînons les bagages jusqu'à la voiture. Emily s'installe sur le siège du passager. Je reste plantée à côté de la portière tandis que le moteur démarre. Mon amie baisse sa vitre.

- Tu m'appelleras ? Me demande-t-elle.

J'acquiesce d'un signe de la tête.

Le SUV s'éloigne. Je le regarde disparaître au bout de la rue avec l'impression qu'on m'arrache le cœur.

C'est si étrange d'être sobre. On est sans défense face aux événements pénibles. On est obligé de tout ressentir. Pas le choix.

Addiction [TERMINÉE]Where stories live. Discover now