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Deux jours plus tard, le vendredi soir, me voilà dans la voiture de Nathan Sky. On va au centre commercial. Il faut croire que j'ai accepté d'avoir un blaireau de compagnie.

Nathan se gare dans le parking souterrain. Il a tenu à m'inviter un soir de week-end parce qu'il pense que c'est le plus difficile pour moi.

- C'est là que tu faisais le plus la fête, j'imagine. M'a-t-il dit au téléphone.

- Pas faux. Ais-je menti.

En réalité, je sortais à peu près autant tout les soirs. On traverse la piazza principale, bondée de gens qui tournent sur place. Certains viennent à des rendez-vous amoureux. Je suis un peu gênée mais je suis Nathan. J'imite les autres filles. Fidèle à ma nouvelle résolution, je fais ce qu'on attend de moi.

Nathan m'entraîne vers le Cineplex. On consulte les horaires des séances en étudiant nos options. Un film vient de se terminer et un flot de personne sort du cinéma.

J'ai un flash subitement. L'image de Stewart s'impose dans mon esprit et je ne peux plus penser à rien d'autre.

Je nous revois assis l'un à côté de l'autre, avachis au fond de la salle, du Carlton. Je secoue la tête, pour me le chasser de mon esprit. Soudainement, je n'ai plus envie de me faire un ciné avec Nathan.

- Ça ne me tente plus trop, un ciné.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Parce que.

Nathan est perplexe. Et un peu vexé.

- Je croyais qu'on était venus exprès pour ça.

J'évite son regard.

- Le problème, c'est plutôt que tu ne veux pas voir de film avec moi. Mais j'ai compris que ce n'était pas un rencard. Il n'y a pas d'ambiguïté, ne t'inquiète pas.

- Non. Je n'ai pas envie, c'est tout. Je préférerais faire autre chose. Et si on allait patiner ?

- Tu m'as dit que tu détestais patiner.

- J'ai envie d'essayer, finalement. Ça à l'air marrant.

Nathan me précède dans l'escalator qui descend à la patinoire. Non seulement je ne sais pas patiner, mais avant ce jour l'idée ne m'aurait même pas effleurée.

On loue des patins et on s'assoit côte à côte sur un banc en bois, pour les enfiler. Nathan ne parle pas. Je crois que je l'ai blessé. Je devrais sans doute lui présenter mes excuses. Ou pas. Il va s'en remettre.

Perchés sur nos patins, on se cramponne à la rambarde. J'aime bien l'aspect de la glace, parfaitement lisse et blanche, et aussi la sensation de froid revigorante.

Nathan est assez intelligent pour comprendre que je ne veux pas d'aide. Hors de question qu'il me tienne par la main. Je me révolte à l'avance contre le moindre contact physique. Alors il me laisse me débrouiller toute seule.

Je fais prudemment mon premier pas sur la glace. Je m'imagine que je vais partir en trombe et voler comme les autres, mais à la seconde où j'avance le pied, je tombe. Et après, impossible de me relever. Je finis par y arriver, pour, aussitôt, me recasser la figure.

C'est à cause des lames. Les patins se courbent sur les côtés. J'essaie encore. Cette fois, je chute en arrière de tout mon poids, et j'atteris sur les fesses.

Nathan finit son premier tour de piste. Je rampe jusqu'à la barrière et je me hisse sur mes pieds. Nathan rigole, en me voyant en difficulté. Bah en même temps, il patine sans difficultés, lui.

- Putain, comment tu fais pour bien patiner, toi ?

- Il faut que tu tiennes tes chevilles bien droites.

- Oui, mais comment ?

- Tu dois contracter certains muscles.

Je le regarde. Il m'offre son bras tout en souriant. Il a un de ces putain de sourire. Je m'accroche à lui. On se lance. J'arrive à prendre un peu de vitesse et paf ! Je me retrouve à terre. Je glisse sur un mètre ou deux avant de m'immobiliser, étalée sur le sol. Nathan rit de plus belle.

- Tu peux m'expliquer pourquoi les gens aiment patiner ? C'est nul.

Il m'aide à me redresser et on recommence. Je n'arrête pas de me plaindre amèrement bien qu'au fond, ça ne me déplaise pas de tomber, de déraper et rester allongée sur la surface blanche et froide.
Ça m'engourdit un peu. Ce qui n'est pas désagréable.

On retourne à la voiture et on quitte le parking du Lloyd Center.

- On ferait mieux de rentrer, dit Nathan.

- Pourquoi ? Il n'est que neuf heures et demie.

- T'as une idée ?

- Allons en ville.

- Il y a quoi en ville ?

- La vie, Nathan. Le monde extérieur.

On s'engage sur le pont en direction du centre. Nathan est perdu. Je dois le guider dans la circulation, lui indiquer quelles rues prendre, lui montrer les endroits sympas.

On passe devant Pioneer Courthouse Square, la place où traînaient les gamins des rues. J'y allais de temps en temps, autrefois. D'ailleurs j'aperçois de vieilles connaissances, aux abords de la station du métro Express. Il y a notamment Jeff, un dealer de shit local. Il porte un trench-coat avec le mot SOUS-HOMME tracé à la bombe dans le dos.

- Nathan, tu vois ce mec ? Il s'appelle Jeff Shit.

- C'est son vrai nom ? Demande Nathan en regardant par la vitre, bouche bée.

- Et ça, c'est Bad Samantha.

Nathan n'en revient pas que j'ai côtoyé ces personnes. Il les dévisagent comme si c'étaient des extraterrestres.

- Alors c'est eux qui te donnaient de la drogue ?

- Qui me la vendaient, tu veux dire.

On se gare un peu plus loin. Bien que l'air ahuri de Nathan soit impitoyable, j'avoue que je me sens moi-même déstabilisée. Et si Jeff m'adressait la parole ? Si Bad Samantha me reconnaissait ? On a failli en venir aux mains un été, il y a deux ans.

La tête basse, j'entre furtivement dans le Metro Café en compagnie de Nathan. Le pauvre en tombe encore des nues. Les filles de la ville au style sophistiqué et les skaters cool le laissent sans voix.

Il commande un latte décaféiné ; moi, un triple expresso. Je le laisse payer et on s'installe à une table dans le fond sans échanger un mot. Nathan ne peut pas s'empêcher de fixer les gens. Il commence par regarder deux demoiselles sexy en minijupes, puis un garçon qui porte du maquillage. À un moment, une fille ivre morte entre en titubant et beuglant. Elle se jette sur quelqu'un pour lui mettre des coups de pied. Ses copains essaient de l'arrêter mais elle les cogne eux aussi. Le gérant du bar intervient et la traîne dehors de force.
Je la montre à Nathan, en sirotant mon expresso.

- Tu la vois, elle ?

- Ouais ?

- C'est moi, avant.

*

Lorsqu'il me dépose chez moi, Nathan me remercie de lui avoir fait visiter la ville.

- Tu pourrais y aller seul, tu sais.

- Hmm.. Non, je ne crois pas. Mais je suis content d'y être passé.

En descendant de voiture, je jette un coup d'œil à mon chauffeur avant de refermer la portière. Il regarde à travers le pare-brise.

- Bonne nuit, Nathan.

- Ouais. Ok. Bonne nuit.

Je lui fais au revoir de la main et je remonte l'allée. Dès l'instant où je franchis le seuil, la soirée n'est plus qu'un vague souvenir.

Addiction [TERMINÉE]Where stories live. Discover now