• CHAPITRE SOIXANTE SEPT •

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— H —

Je suis plongé dans les dédales d'un dossier particulièrement pénible lorsque la sonnerie stridente de mon téléphone me tire violemment de ma concentration. La ballerine...

— Monsieur Reed, dit-elle d'une voix à peine reconnaissable.

— Que me vaut ce plaisir ? je demande.

— Plaisir, plaisir... Faites attention à vos mots. Ils ont un sens, il paraît ! glousse-t-elle.

— Tu as bu ?

— Bien sûr ! Quel intérêt y a-t-il à faire la fête seule et sans une goutte d'alcool ? rétorque-t-elle avec une pointe de moquerie.

Je me redresse brusquement, comme électrisé par un lien invisible.

— Seule ?

— Ne prends pas ce ton de professeur mécontent ! Je voulais te proposer de venir faire la fête avec moi... Tu sais... Attends, qu'est-ce que je disais déjà ? Ah oui ! Tu n'es vraiment pas normal.

— Je suis parfaitement normal ! En revanche, toi, tu es complètement ivre ! je m'agace.

— Vous êtes un tel rabat-joie, Monsieur... Monsieur, comment ? Ah ! Monsieur bleu acier !

Monsieur quoi ? Ses paroles sont totalement décousues. Je m'apprête à lui répondre, mais elle ne m'en laisse pas le temps et raccroche brusquement. Je reste là quelques secondes, à fixer l'écran sombre de mon téléphone. La ballerine a toujours eu le don de me déboussoler, mais cette fois-ci, je dois dire qu'elle s'est surpassée. Elle perturbe chaque jour un peu plus mon équilibre et le pire dans cette histoire, c'est que je la laisse volontiers faire ! J'essaie de retrouver ma concentration, de replonger dans le dossier qui m'attend patiemment sur mon bureau, mais l'agacement persiste, comme une écharde dans mon esprit. Je ferme les yeux un instant, inspirant profondément pour recouvrer mon calme, mais son image se superpose à mes pensées. Malgré moi, je me demande ce qui a pu se passer ce soir pour qu'elle se mette dans cet état et qu'elle m'appelle à une heure aussi avancée de la nuit. Est-ce à cause de moi et de nos derniers échanges tendus ? Ou y a-t-il autre chose qui la tourmente ? Eh, merde ! Je ne peux pas la laisser errer seule dans les rues alors qu'elle est ivre et qu'il est près de deux heures du matin. Je dois m'assurer qu'elle va bien, ne serait-ce que pour retrouver ma tranquillité d'esprit.

Lorsque sa localisation apparaît à l'écran, j'entends distinctement une petite voix qui me siffle que c'est une très mauvaise idée, mais je ne l'écoute pas. Si j'ai franchi la ligne cette fois-ci, c'est entièrement de sa faute. Je m'occuperai donc des conséquences et des cas de conscience plus tard. J'appelle Ethan pour lui demander de me rejoindre, j'attrape le dossier sur lequel je travaillais et je descends dans le parking.

Je tente de rappeler la ballerine plusieurs fois sans succès et cela ne fait qu'exacerber ma colère. Je me concentre alors sur mon dossier, mais les mots dansent devant mes yeux et je finis par le jeter rageusement sur la banquette près de moi. Mon esprit est en ébullition, imaginant mille scénarios.

Le bar se dessine rapidement devant nous. Ethan manœuvre pour se garer, mais je n'ai pas la patience d'attendre. Je sors de la voiture avant même qu'il n'ait le temps de couper le contact. L'atmosphère à l'intérieur du bar est chargée d'une énergie sombre. Je déteste d'emblée le lieu. Je balaye la pièce, cherchant la silhouette de la ballerine parmi les corps qui s'entremêlent sur la piste, mais je ne la trouve pas là. C'est seule et assise au bar que je l'aperçois. Je m'approche lentement et j'en profite pour l'observer un moment. Un verre à moitié vide repose entre ses mains et une expression mêlant tristesse et ivresse habite son visage. Mon cœur se comprime étrangement devant cette vision.

BALLERINAWhere stories live. Discover now