Épilogue

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Coucou tout le monde, voici donc l'épilogue, il a été écrit par Hookia et non par moi, j'espère qu'il vous plaira autant qu'il m'a plu à moi sur ce je vous souhaite une agréable lecture mes cher(e)s lecteurs et lectrices.

Pdv de Camille :

Quelques sifflements printaniers résonnent au loin. Ils sont plutôt aigus, sans pour autant être stridents et désagréables. Malgré le fait qu'ils m'aient réveillée, je prends plaisir à les écouter. Leur rythme est incompréhensible, sans aucune harmonie, si ce n'est celle de la nature. Les sifflements sont entrecoupés d'autres bruits, des sortes de piaillements qui viennent se mêler à cette mélodie. Je décide d'ouvrir lentement les yeux. A travers les rideaux de notre chambre, je peux apercevoir les responsables de ce concert matinal : quelques oiseaux sont perchés sur le rebord de la fenêtre, tandis que d'autres, moins téméraires, sont restés aux aguets sur le fil électrique. Je crois reconnaître des rouge-gorges, des mésanges, des moineaux, et même une pie, qui semble perdue au milieu de tous ces petits volatiles. Parmi eux, un oiseau aux couleurs extravagantes se détache du reste de la troupe : il pourrait être confondu avec un moineau, si ce n'est la tâche imposante et rouge autour de son bec, à laquelle s'associe le jaune de la bordure de ses ailes. Je suis persuadée d'avoir déjà vu son esquisse dans un livre de ma librairie. Quel est son nom, déjà ? Un chardonneret, il me semble. Il faut que je pense à le vérifier. Mais ce ne sera pas aujourd'hui. Je m'assois dans le lit, passant une main dans mes cheveux, par simple réflexe. A ma gauche, Jade dort encore mais je sais qu'elle ne va pas tarder à se réveiller, au vu de sa respiration. Je m'extirpe discrètement de la couverture, prends mes vêtements déjà préparés sur la commode, puis sors de la chambre. Je sais qu'elle part se doucher dès son réveil : il faut donc que je fasse vite, si je ne veux pas l'entendre râler inutilement. Une fois cette mission accomplie, je retourne dans la chambre pour y déposer mon pyjama. Lorsque j'ouvre la porte, Jade est assise dans le lit, la tête tournée vers la fenêtre. Celle-ci n'est voilée que par les rideaux, eux-mêmes légèrement entrouverts. Un mince faisceau de lumière traverse la pièce et s'arrête sur son visage, ce qui ne semble pourtant pas la déranger. A l'aide de cette infime clarté, j'analyse rapidement l'état dans lequel se trouve Jade : ses cheveux sont en bataille, voire même en guerre, et le haut de son habit ne couvre plus qu'une seule de ses épaules. Je souris, attendrie par cette image, pourtant devenue habituelle. Je pose mes affaires sur un meuble quelconque, puis m'approche d'elle. Ne semblant remarquer ma présence que maintenant, elle se tourne vers moi et me sourit à son tour. Comme une simple routine, je dépose un baiser sur son front, avant de lui murmurer :
"Bonjour Jade. Il faut que tu te lèves, sinon tu risques d'être en retard."
Cette unique phrase, que j'ai appris à répéter chaque matin, a l'effet d'un réveil à l'eau froide : aussitôt, Jade saute du lit, dépose un baiser sur ma joue au passage, et court jusqu'à la salle de bains. Je soupire, plus amusée qu'autre chose. Après avoir ouvert les rideaux, aéré la pièce et refait le lit, je m'en vais dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Mon regard glisse sur l'heure qu'indique l'horloge du salon : tout va bien, il n'est pas encore 8h. Jade est censée arriver au travail aux alentours de neuf heures, mais avec les bouchons du périphérique, il faut toujours trois quarts d'heure pour s'y rendre. Je m'active pour que son repas soit prêt dès qu'elle sorte de la douche. Quelques instants plus tard, j'entends la porte se déverrouiller au même moment où je termine de beurrer ses tartines. Elle me rejoint et, en découvrant son petit déjeuner déjà préparé, elle s'empresse de me prendre dans ses bras, me remerciant mille fois si ce n'est plus. Je me contente de lui sourire en retour, lui conseillant de manger vite. Elle ne se fait pas prier, et avale rapidement les tranches de pain. Je la vois repartir dans la salle de bains, puis finalement revenir dans le séjour, une veste noire élégante sur les épaules. Je finis de débarrasser la table, puis m'approche d'elle : sa mallette en cuir posée contre ses jambes, elle essaie avec difficulté de nouer sa cravate. Je ne retiens par un rire taquin, avant de faire le noeud à sa place. Elle me remercie, pour la seconde fois, et dépose un baiser sur ma joue, avant d'empoigner son manteau et de sortir. Alors qu'elle franchit le seuil de la porte d'entrée, je la retiens par la manche. Elle se retourne vers moi et j'en profite pour déposer rapidement mes lèvres sur les siennes. Son visage prend rapidement une teinte rougeâtre, et je me contente de sourire, avant de lui souhaiter :
"Passe une bonne journée."
Elle acquiesce en silence, essayant de reprendre ses esprits, avant de s'éloigner pour de bon. Je referme la porte et me retrouve dans la maison, désormais vide. Je n'ai pas de temps à perdre : il est aux alentours de 8h10 et Jade quitte le travail vers 17h. Il me faut donc agir rapidement et efficacement. Je m'empresse de retourner dans la salle de bains, m'assurant d'être prête pour sortir. Puis je traverse le seuil de la porte d'entrée, enfilant ma veste au passage, avant de monter dans la voiture. Jade n'est même pas au courant que je ne travaille pas aujourd'hui, seul son père le sait. C'est d'ailleurs chez lui que je me rends. Une fois garée devant son restaurant, je remarque les tremblements effrénés de mes doigts. J'inspire calmement, essayant de faire retomber ma pression cardiaque : je suis tendue, bien plus qu'il ne le faudrait. Mes mains deviennent moites lorsque je repense à ce que je m'apprête à faire, mais il est trop tard pour faire marche arrière. Je sors du véhicule et à mesure que je m'approche du bâtiment, mon assurance grandit, bien que l'angoisse ne diminue pas. Mes pas se veulent fermes et mon allure évoque la détermination. Les clients vont sans doute me prendre pour une femme sévère et rigide, alors qu'actuellement, je suis pétrifiée par la peur. Une fois à l'intérieur, je demande au serveur, qui m'avait fait de discrètes avances auparavant il me semble, où je peux rencontrer le patron du restaurant. Il m'indique une porte, au fond de la salle de réception : elle est surmontée d'une pancarte, sur laquelle figure le nom du père de Jade. Je me dirige dans cette direction, puis m'arrête devant la porte qui ne demande qu'à être ouverte. Je respire un grand coup, puis décide finalement de toquer et d'entrer dans le bureau. Lionel est assis dans son fauteuil, devant un écran d'ordinateur qui diffuse une lumière blanchâtre. Lorsqu'il relève la tête et m'aperçoit, son visage s'éclaire immédiatement :
"Camille, quelle surprise ! Assieds-toi, je t'en prie."
"Bonjour Lionel, j'espère que vous allez bien." me contenté-je de répondre en m'asseyant sur la chaise en face du bureau.
"Je t'ai déjà dit d'oublier le vouvoiement avec moi. Enfin, passons, qu'est-ce qu'il t'amène ? Jade va bien, n'est-ce pas ?"
"Oui, bien sûr, tout va bien. A vrai dire, je suis venue vous trouver pour... -je lance un oeil craintif autour de moi, comme si j'essayais de trouver une issue de secours possible. Hélas, il ne semble pas y en avoir, à part la porte par laquelle je suis entrée tout à l'heure. Je prends mon courage à deux mains et ose finir ma phrase, qu'importe la conséquence qu'elle peut avoir- Je voudrais.. Je voudrais épouser votre fille."
Un silence s'installe entre nous, pesant et lugubre. A moins que je sois la seule qui l'interprète ainsi. Quelques secondes plus tard, Lionel s'exclame :
"C'est une fantastique nouvelle ! Cela fait des années que vous vivez ensemble, je me demandais quand est-ce que l'une d'entre vous allait franchir cette étape. Il se trouve que c'est toi, Camille, non pas pour me déplaire. Je suis heureux de constater que ma fille a pu trouver une compagne aussi attentionnée. Tu as, évidemment, tout mon soutien !"
Lorsque j'assimile le sens de ses mots, je me force à rester assise, pour ne pas sauter de joie. J'ai l'impression qu'avec son autorisation, c'est comme si Jade et moi étions déjà mariées. Mais il faut que je calme mon euphorie : le plus délicat viendra ce soir. C'est le "Oui" de Jade qu'il me faut désormais, pour poursuivre ma démarche.
"Merci Lionel, merci infiniment. Je comptais le lui demander ce soir, mais j'estimais qu'il fallait vous en parler avant."
"Je vois que tu es habituée aux convenances. Tu as bien fait. As-tu besoin d'autre chose ?"
"Pour être tout à fait honnête... J'espérerais que vous m'accompagniez pour choisir la bague de fiançailles."
Lionel me regarde et jette un coup d'oeil à l'ordinateur. Il semble lire quelque chose, puis après quelques instants de réflexion, il se lève de son fauteuil et déclare :
"Au diable le règlement des factures, je m'en occuperai plus tard ! Ce n'est pas tous les jours que je participe au mariage de ma fille."
Je souris devant tant de motivation : je sais d'où Jade tient la sienne, désormais. A peine quelques minutes plus tard, nous sommes en route vers le quartier commerçant, la bijouterie déjà repérée. Nous marchons quelques instants, en discutant du quotidien, du temps qu'il fait, de choses et d'autres. Une fois devant la façade de la boutique, nous sommes tous deux submergés par la beauté des bijoux présents dans la vitrine : du rubis au saphir, en passant par l'opale et le quartz, toute la beauté des pierres précieuses semble retranscrit dans un seul et même présentoir. Nous nous décidons finalement à entrer : pour accueil, un vif flash nous éblouit. Ce n'est qu'ensuite que nous comprenons que c'est le reflet de l'éclairage sur tous les cristaux et matières brillantes disposés dans la boutique. Un dédale de vitrines s'étale devant nous : je sens que les recherches vont être plus longues que prévues. Pendant plus de vingt minutes, nous allons de présentoir en présentoir, ne ratant aucun détail qui pourrait faire la différence. Tandis que nous examinons chaque bague à notre disposition, je sens quelques regards déplacés se poser sur nous : ma différence d'âge avec Lionel se fait rapidement remarquer et celle-ci doit fortement troubler les clients. J'aimerais pouvoir les informer que nous ne formons pas un couple et qu'ils se méprennent, mais je me demande qu'est-ce qui les dérangerait le plus : une femme qui en épouse une autre ou qui se marie avec un homme du même âge que son paternel ? Je m'attarderai sur la question plus tard : pour l'instant, ce n'est rien d'important. Alors que je me déplace vers une énième vitrine, mon regard glisse involontairement sur une bague qui retient mon attention. Elle est en argent et composée de deux fils épais, qui semblent s'enlacer afin de former le tour du bijou. Sur son sommet trône une petite pierre, très discrète, aux reflets bleus et argentés. Aussitôt, j'appelle Lionel pour lui demander son avis : il lui faut peu de temps pour être convaincu. J'hésite encore quelques minutes, puis je fais confiance à mon instinct et décide de l'acheter. Lorsque nous ressortons de la boutique, le soleil indique l'heure de déjeuner. Pour remercier Lionel de m'avoir accompagnée et aidée, je l'invite au restaurant du quartier. Environ deux heures plus tard, le père de Jade est retourné à ses occupations professionnelles, tandis que je rentre à la maison. Aussitôt, je m'empresse de cacher la bague sous une pile de vêtements, où elle sera introuvable. M'apercevant qu'il me reste plus de temps que je ne l'espérais, je vaque à mes tâches habituelles. Après avoir fait quelques courses, je décide de nettoyer brièvement le salon et l'entrée. Une fois ceci terminé, je m'installe devant mon ordinateur et prends le temps nécessaire pour répondre à mes mails. Je commande certains livres en rupture de stock dans ma librairie, puis relève la tête, constatant avec surprise qu'il est déjà presque 18h : Jade ne va pas tarder à rentrer et je n'ai même pas commencé le repas. Rapidement, je me retrouve dans la cuisine, un tablier noué autour de la taille, un économe dans une main et une aubergine dans l'autre. Pour ce jour plutôt spécial, j'ai décidé de préparer son plat préféré : je n'ai pas intérêt à le rater. Une fois les légumes coupés, je m'occupe de la viande, tandis qu'ils mijotent à petit feu. La sonnette de l'entrée retentit brusquement et je manque de me couper un doigt. Reprenant rapidement mes esprits, je me dirige vers la porte et l'ouvre sans plus tarder. Jade entre, m'embrasse sur le front tout en me souriant et entreprend d'enlever son manteau ainsi que sa veste. Je retourne dans la cuisine, surveillant attentivement la cuisson du plat. Surprise par l'odeur peu commune des légumes sautés, Jade s'approche de moi, passant ses bras autour de ma taille. Je souris malgré moi, sachant pertinemment qu'elle ignore ce qui l'attend ce soir. En se penchant vers mon plan de travail, elle me demande avec curiosité :
"Qu'est-ce que tu prépares ?"
Je tourne légèrement mon visage vers le sien, déposant un léger baiser sur sa joue, avant de lui répondre :
"Tu n'as pas reconnu ? C'est ton plat préféré."
Soudainement, son visage s'illumine et je sais qu'elle retient une exclamation de joie. Pendant environ un quart d'heure, elle papillonne dans la cuisine, à mes côtés, impatiente de déguster ce repas qu'elle aime tant. Qu'elle me regarde cuisiner ne me dérange pas d'habitude, mais je ne peux m'empêcher de penser à ce que j'ai prévu ce soir. Je jette un bref coup d'oeil à l'horloge du salon : il est bientôt 20h. Selon l'organisation de cette soirée, nous devons dîner ensemble, puis aller se promener dehors. Et c'est à ce moment là que je devrai... La cuillère avec laquelle je remuais les légumes chute et atterrit sur le sol. Je me baisse et la ramasse, me répétant qu'il faut que je garde mon calme. L'image de la bague me revient et mon subconscient m'assaille de questions : est-ce qu'elle lui plaira ? Etait-ce le bon choix ? La bonne couleur ? Est-ce qu'elle l'acceptera, au moins ? Que va-t-elle en penser ? Je parviens enfin à les faire taire, lorsque je me tourne vers Jade : innocemment, elle joue avec une fourchette, la faisant tournoyer sur elle-même. Elle doit s'ennuyer. Il est vrai que la viande met beaucoup de temps à cuire. Son regard suit le mouvement circulaire du couvert, et je ne peux m'empêcher de sourire : dire que c'est sa réaction, son avis et son jugement qui m'effraient, alors que je la sais si gentille et si sensible. Il faut que je me reprenne en main : ce n'est pas n'importe qui. C'est une personne au bon fond et au coeur tendre. C'est quelqu'un qui vient toujours en aide aux autres, peu importe les risques que cette décision implique. Mais c'est également une personne qui peut être facilement blessée et ne rien dire à personne. C'est Jade. Et c'est elle que je veux demander en mariage.
"Peux-tu mettre la table, s'il-te-plaît ? Le repas est bientôt prêt."
Contente de pouvoir m'aider, elle s'occupe de mettre les couverts, tandis que j'amène les plats à table. Pendant le repas, nous discutons de nos journées respectives, et je prends soin d'omettre mes propres activités. L'atmosphère conviviale me permet de me détendre un peu, oubliant l'heure fatidique qui se rapproche indubitablement. Tandis que Jade débarrasse ce qu'il reste des couverts, je me faufile dans notre chambre et m'empare de la petite boîte, cachée dans l'armoire. Dans la cuisine, Jade est penchée sur l'évier, nettoyant les récipients que j'ai utilisés. Elle chantonne, sans doute inconsciemment, et j'en profite pour aller glisser la bague dans la poche de ma veste. Je vérifie qu'elle ne s'est rendue compte de rien et vais l'aider à laver la vaisselle. Une fois cette corvée terminée, je lui laisse à peine quelques instants de repos avant d'enchaîner, le coeur battant :
"Jade, ça te dirait que l'on aille se promener ?"
Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la cuisine, elle se retourne vers moi et me réponds avec enthousiasme :
"Pourquoi pas ! Cela fait longtemps que nous ne sommes pas sorties."
Mon rythme cardiaque s'accélère : l'instant décisif approche et j'ai clairement l'impression de ne pas être prête. Jade enfile son manteau et me tend ma veste, un sourire illuminant son visage. Si seulement elle savait ce qui se trouve dans la poche du vêtement qu'elle tient entre ses mains. Je respire calmement et une fois que nous sommes toutes les deux prêtes, nous sortons, les doigts entrelacés par habitude.
Dehors, nous errons le long des rues, nous arrêtant devant certaines vitrines encore allumées, avant de repartir. L'air est frais, agréable. Quelques passants peuplent les avenues, au contraire des cafés et des bars qui eux, regorgent d'habitants du quartier. Nous les entendons rire et boire d'ici : l'heure est à la lucidité, mais Jade et moi savons que plus tard dans la nuit, l'atmosphère sera bien changée. Nous stagnons devant la petite fontaine du centre-ville : les jets d'eau, projetés en l'air, retombent dans le bassin, sans un bruit. Au centre de l'édifice, une inscription demeure, à moitié effacée par le temps : "Dat virtus quod forma negat". Je n'ai jamais étudié le latin, mais je sais cependant qu'il est ici question de courage. Justement, il va m'en falloir. Beaucoup, vraiment beaucoup de courage. Ma main se referme malgré moi sur la petite boîte, toujours au fond de ma poche. Mes doigts effleurent une pièce de monnaie, sans doute oubliée depuis longtemps. Je la sors de ma veste et la regarde. Mes yeux alternent entre la fontaine et cette petite pièce. Je vais avoir besoin de courage, n'est-ce pas ? Sans réfléchir, je la lance dans le bassin. Seul le bruit de sa chute dans l'eau me répond. Je n'ai pas pour habitude d'être superstitieuse, mais pour aujourd'hui, j'accepterais avec plaisir que le sort me soit favorable. Jade ne réagit pas à mon geste, bien qu'elle doit s'interroger sur mes motivations actuelles. Nous marchons encore quelques minutes, atteignant le haut d'une colline. Celle-ci surplombe la ville que nous venons de traverser : les lampadaires semblent être des lucioles, vus d'ici. Quant aux personnes qui, comme nous, profitent du début de la nuit, c'est à peine si nous pouvons les apercevoir. Jade est plongée dans sa contemplation de l'horizon. Je sais que c'est maintenant ou jamais. Je prends une grande inspiration, repensant à cette pièce jetée dans la fontaine. S'il existe une quelconque divinité dans cet univers, s'il-vous-plaît, faites qu'elle me donne le courage nécessaire. Mes doigts quittent la petite boîte qu'ils serraient depuis tout à l'heure, puis je me tourne vers elle. Jade, m'apercevant du coin de l'oeil, me fait face à son tour. Je plonge mon regard dans le sien, essayant de trouver les mots justes. Mon coeur bat vite, trop vite et je sens des sueurs froides me glisser le long du dos : je suis paralysé par la peur. J'ai beau essayer de me raisonner, me répéter qu'elle réagira bien, que tout se déroulera sans encombre, je ne parviens pas à me calmer. L'improvisation se fait attendre et Jade penche légèrement la tête sur le côté, attendant toujours que je prenne la parole. J'ouvre la bouche, alors que celle-ci est sèche et entreprend un monologue des plus tourmentés :
"En fait, Jade.. Je.. Je t'ai demandée de sortir ce soir, car.. J'ai.. Comme qui dirait.. Quelque chose, à te demander, et.. -ma voix se coupe. Ce n'est simplement pas possible : je bégaye et suis incapable d'aligner deux phrases normalement. Mes mains tremblent et je ne parviens même pas à la regarder dans les yeux. J'ai arrêté de parler et je sens que je ne peux plus reprendre la parole. Les mots ne viennent pas, restant figés dans mon esprit, sans pour autant s'échapper par mes cordes vocales. C'est la première fois que je suis dans un tel état d'anxiété. Que doit-elle penser de moi ? Je me crispe un peu plus : et que pensera-t-elle, si jamais j'arrive à lui faire ma demande ? De nombreux doutes m'assaillent soudainement. Si elle n'accepte pas ? Si elle n'est pas prête ? Si elle ne veut pas passer sa vie avec moi ? Si elle trouve que c'est une mauvaise idée ? Si elle pense que, parce que nous sommes deux filles, nous devrions laisser cette cérémonie à la religion ? Si elle est persuadée que cette bague n'est rien d'autre qu'une chaîne, avec laquelle je l'attache à moi ? Sans m'en rendre compte, ma respiration s'est accélérée et je peine à reprendre mon calme. Je désespère : je suis en train de tout faire rater. Où est le courage dont j'avais besoin ? Même si je pense à cet instant depuis des mois, je ne m'imaginais pas être dans une telle situation. Les minutes défilent sans que l'une d'entre nous ne dise mot. Jade doit être en train de se moquer intérieurement, face à ma panique. Cette simple pensée me fait monter les larmes aux yeux. Contre moi, je sens la boîte de la bague qui semble me pousser à continuer. Malgré cela, mes forces et ma volonté m'abandonnent. Je veux juste rentrer à la maison. Tant pis. Ce ne sera pas pour aujourd'hui.- ... Non.. Rien d'important."
Je ne parviens pas à relever la tête. Je sais que je suis à deux doigts de pleurer et voir son visage, déçu, pourrait déclencher un torrent de sanglots. Je serre les mains, regrettant déjà de ne pas avoir eu la bravoure de le lui dire. La bague dans ma poche me rappelle ma couardise et je ne peux qu'admettre qu'elle a raison. Soudain, je sens ses mains prendre les miennes. Je lève les yeux, toujours remplis de larmes, vers son visage. Elle me sourit, compatissante, avant d'ajouter :
"S'il-te-plaît.. Dis moi."
Ces minces fossettes qui étirent ses joues lorsqu'elle sourit, ces yeux pétillants dans lesquels se mêlent la tendresse et l'amour qu'elle me porte, ce visage confiant qui m'incite à me livrer ouvertement... Je sens quelque chose perler au coin de mon oeil, puis glisser le long de ma joue. Aussitôt, un écoulement lent et régulier de larmes vient s'écraser sur le sol. Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour, comprenant alors qu'elle avait déjà tout deviné. Finalement, la fontaine ne m'a pas été utile, mais j'aurais dû savoir que la seule source de mon courage n'est rien d'autre que son sourire. J'essuie mes pleurs, bien qu'ils persistent, et mon inquiétude envolée, je peux enfin lui demander :
"Jade.. Acceptes-tu de m'épouser ?"
Je glisse ma main dans ma veste, sortant la petite boîte que j'ouvre devant elle. J'aperçois ses yeux qui s'illuminent, avant de se remplir de larmes à leur tour. Elle s'approche de moi, me murmurant une timide approbation, le rouge gagnant rapidement le haut de ses joues. Mes mains, ayant arrêté de trembler depuis peu, s'attardent à faire glisser la bague autour de son annulaire gauche. Nous relevons ensuite la tête, au même moment, chacune se perdant dans le regard de l'autre. Sans réfléchir, je m'avance un peu plus vers elle, posant mes lèvres sur les siennes. Ce baiser est si doux qu'il me réconforte et me console de toutes les émotions précédemment ressenties. Puis je me recule et me rends alors compte que Jade a succombé : elle est en pleurs et essaie vainement d'essuyer les gouttes qui glissent de ses paupières mis-closes. Je souris, attendrie, avant de la prendre dans mes bras. Ma joue posée contre son épaule, je remercie les forces inconnues et occultes qui m'ont permis de la rencontrer, de la connaître et de l'aimer. Sans le vouloir, je me remets à pleurer de joie. Heureusement que nous sommes seules sur la colline, et que ce moment n'appartient qu'à nous.
Après avoir séché mutuellement nos larmes, nous faisons demi-tour et rentrons chez nous, main dans la main. Mes doigts entrelacés aux siens effleurent le petit anneau qui entoure son annulaire. Et pourtant, je sais qu'il n'est qu'un maigre représentant, de tout ce qui nous unie en cet instant.

FIN

Une belle rencontreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant