Lysa - 51 -

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La semaine avait été très difficile, mais l'était encore plus pendant les premiers jours où Ethan était arrivé abattu, sans un regard pour aller s'enfermer derechef dans son antre. J'ai dû garder un contrôle absolu, mental et maîtrisé pour paraître une salariée modèle, pas du tout accro à son patron. Celui qui me serrait par obligation une main professionnelle en arrivant le matin.

Ou encore, ce jour où l'on s'est croisé par hasard en salle de pause et qu'il a prononcé : « Bonjour, mademoiselle Morel » d'un ton patron employé, sans aucunes apparences, comme si j'étais devenue une inconnue à ses yeux. Question discrétion sur notre relation, il ne pouvait mieux faire. Dans ces moments-là, je doutais de moi. Je n'étais plus très sûre de vouloir faire le premier pas.

— Oh parfait, Lysa ! s'enthousiasme mon formateur. Nous allons montrer ceci à monsieur Niels, il va être ravi de vos fabuleux progrès.

Pardon ?

Une boule de coton dans la gorge m'empêche de respirer avec aisance, et le manque de sommeil fait lamentablement fléchir mes jambes tremblantes que je dois vite me retenir à la lisière du bureau.

— Vous allez bien ? Vous êtes pâlotte depuis un moment.

— Oui... Ça va aller.

En fait, non, ça ne va pas du tout. Pourquoi l'invitez-vous à examiner mon travail ?

Je ne me sens pas prête à l'affronter. Le serais-je un jour ? Arriverais-je à abattre cette barrière qui marque et retient mes limites ? Le stress m'empoisonne subitement. Il coule d'une lenteur martyrisante dans mes veines, empêchant mon mental de fonctionner avec cohérence quand il attrape le combiné pour passer son coup de fil. Monsieur Bertrand informe notre supérieur avec fierté tout en m'adressant un sourire si chaleureux et satisfait, qu'on dirait un chat qui vient d'avaler un canari sans en perdre une plume. Puis tout heureux, s'élonge dans son siège en cuir. Les parties étirées qui lui fendent la bouche ne peuvent contredire mes pensées : Ethan va bientôt arriver.

— Monsieur Niels est désireux de découvrir vos progrès en la matière. Comment a-t-il formulé, déjà... ? Ah oui ! Il a dit : je suis impatient de voir le retour de ces derniers jours. Je pense qu'il sera agréablement surpris.

À qui le dites-vous...

Eh bien, ces derniers jours, j'avais beau être mentalement à mille endroits, je sentais qu'il me manquait quelque chose. Un vide, une souffrance que mon corps me rappelle en permanence, et dont il m'est impossible de faire l'impasse.

La porte s'ouvre soudain en coup de vent, surprenant tout autant mon formateur que moi-même. Dans mon dos, je perçois Ethan la refermer dans une paresse insoutenable, sentant son regard posé sur moi comme s'il voyait mon âme en pleurs, remplis de chagrin.

Mon palpitant ne résiste pas et détonne hors de ma poitrine, semblable à une bombe atomique lorsque ses pas s'approchent. Mon être est trop sensible, pas assez fort pour affronter les cruautés envers mon sort. Je suis faible, et sous dessein, je n'arrive à aller au-dessus de mes forces pour lui avouer tout ce que je ressens, tout ce que j'aurais aimé lui déballer en lui ouvrant mon cœur. Je ne l'ai vu depuis ces derniers jours et n'avais été aussi proche de lui depuis près d'une semaine.

Mon formateur et moi, nous tenons de part et d'autre du bureau, en tête à tête. Ethan vient poster sa large carrure à mes côtés pour faire face à son architecte ainsi qu'aux plans sans même me regarder.

Ce dernier examine les esquisses, opinant de la tête pour consentir. Des compliments silencieux, c'est tout ce à quoi je m'attendais venant de sa part. Mon cœur, lui, a cessé de battre. La respiration ? Je ne sais même plus, si elle m'est très utile.

— Félicitations, mademoiselle Morel. L'analyse est bonne, la reconstruction de l'espace aussi.

J'essaie de conserver ma patience, mes distances, avant tout de retenir mes larmes de se déverser sur des circonstances désolantes. Pourquoi, je n'arrive pas à ouvrir mon cœur assoiffé à cet homme ?

— Cependant, l'aménagement est la réussite d'un commerce, appuie-t-il en tapotant les plans de son index. Il faut savoir rendre une image positive de la marque. Trouver l'équilibre et le rendre rationnel, ce qui n'est pas si simple, je vous le conçois.

Il tourne le feuillet d'un sens, puis de l'autre, et les retourne encore.

— Je vous propose... Non, je vous ordonne d'intervertir ces linéaires pour les disposer le long de ce mur, me montre-t-il sur les croquis. Et le podium, approchez-le de l'entrée pour inciter les passants à franchir la porte. La côte est une station balnéaire non négligeable. Prêtez-y attention, la prochaine fois.

Je reste figée sur son profil, perdue dans mes pensées à caresser tous ces souvenirs, à ressasser notre maudit passé. Quand il daigne enfin tourner la tête, mon regard dépeuplé pénètre ses yeux bleus saccagés par l'amour, arrivant sans peine à percevoir son mal-être autant que le mien. Il me regarde comme si j'avais commis un crime, comme si je méritais de souffrir, tout en restant très professionnel, droit et confiant comme il sait si bien le faire.

Est-ce que je mérite toute cette souffrance ? Cet amour excessif ? Est-ce que je porte malheur ? Le goût du monde chargé de ma tristesse me fait baisser la tête et fermer les paupières quelques secondes, mes larmes roulant en silence sur mes joues.

Oh mon Dieu ! Voilà maintenant qu'il m'atteint même au travail !

Je les rouvre en peu de temps, j'ai besoin de fuir le tigre.

— L'erreur est une loi qui ne trompe jamais. Sachez que les regrets conduisent lamentablement à la déception, que seuls les audacieux braveront sans frustration.

Sur ce sage conseil personnel qui m'est purement destiné, je prends la poudre d'escampette tout en m'excusant pour me réfugier aux toilettes, y cédant larmes, chagrin et perte de moi-même.

L'envie d'aimer - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant