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L'histoire n'aurait ni début ni fin. Parfois, Isidore se demande comment il narrerait sa vie à ses enfants, plus grand. Un remake de How I met your mother, ou pire, un fantasme d'une grande famille. Il se déteste à autant aspirer aux mêmes choses que ses parents. Mais ça fait partie de lui, depuis le temps qu'il y pense.

Isidore est allongé dans l'herbe d'un square pour enfants. Il n'a normalement pas le droit, la pelouse doit être préservée de toute trace humaine. Mais il s'en fiche. Il veut juste se reposer après avoir vu Anatole, regarder jouer les enfants. Ça lui réchauffe toujours le cœur de voir les parents surveiller leurs gosses, de jouer avec eux. Quelques gamins chialent sur le côté, d'autres rient à gorge déployée.

Ça paraît étrange de raisonner ainsi... Mais souvent, Isi' pense au lui du futur, version papa, pour orienter ses choix de vie. Il ne se considère plus alors comme un Isidore seul, mais en tant que père de famille qui oriente ses actions de façon responsable. Coline le reprend pas mal dessus, que ça n'a pas de sens de jouer autant le patriarche pro-enfants où la vie n'aurait de sens que pour des mini versions de soi, surtout que dans l'équation, il y a un autre parent. Co' et lui n'ont clairement pas le même avis sur ce point. Ils n'aspirent pas explicitement à la même chose. Pour Isidore, la vie est plus douce avec des enfants, les maisons remplies de multiples générations, les petites fiertés de tous les jours. Il ressent une envie pressante d'être quelqu'un de bien, d'être un bon père, donner cette forme précise à son existence.

Ces choses-là, il y pense sur son vélo, dans les trajets de bus, les balades main dans la main de Co', ou allongé dans l'herbe comme aujourd'hui. Il en parle très peu, parce qu'il sait qu'elle aurait peur, qu'ils n'ont que vingt-trois ans, que la temporalité s'étire dans leur amour. Il y pense cet après-midi parce qu'il a l'impression que le monde vacille, qu'il vit à la surface du du monde, hors du temps, hors de sa propre vie.

Il a l'impression que les autres grandissent plus vite que lui. Qu'il n'existe ni dans leurs vies, ni dans sa propre biographie. Ça le dépasse tout ça. Emménager loin, suivre des grandes ambitions. Lui, il n'en sait rien. Il ne sait même pas ce qu'il veut manger au dîner. Il aimerait être tranquille, fuir ces questions, oublier ce que les autres lui imposent comme « vraie vie ».

AïeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant