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Depuis qu'ils ont quatorze ans, la bande d'amis d'Isidore organise toujours une soirée « surprise » le WE qui suit l'anniv' de chaque membre.

Isi' trouve que son anniversaire n'est pas spécialement un jour à célébrer, qu'on s'en fiche grave de savoir si on est né à ce moment-là ou pas. Il déteste les cadeaux inutiles, comme la fois où sa mère lui a acheté une paire de sneakers trop laides pour être portées. Mais on trouve toujours un moyen de lui faire croire que c'est un jour important, que sa naissance se fête comme il se doit : que ce soit sa famille ou ses amis. Le pire, c'est qu'il pense sincèrement que ses proches accordent trop d'importance à cet événement. Coline par exemple, ne pourra arriver qu'en fin de soirée cette année, son flixbus arrivant très tard à la gare routière. Au tél, elle avait l'air dévastée. Isidore s'en fiche un peu, tant qu'il la voit, il est content. Il fera juste l'effort de ne pas être trop défoncé lors de leurs retrouvailles.

Cette année, c'est grosse soirée techno chez Anatole. L'an dernier c'était chez Alice. Ils alternent toujours : c'est la tradition. Ce soir, Isidore est tout de même amusé en arrivant chez son meilleur ami. Ils ont accroché au plafond une petite boule disco trouvée dans la rue. Assis comme des tas autour de la table basse, on retrouve toute la bande du collège : Alice - sa meilleure amie d'enfance et premier amour, Anatole – meilleur ami jusqu'à la mort, les deux Paul – Paul J. le rappeur incompris et Paul V. le dealer du groupe, Max – le skateur sans talent et pour finir Lili – la fille la plus torturée qu'Isidore a pu rencontrer de sa vie. Comme d'hab', ils ont déjà allumé un joint avant même de dîner.

—   La star est arrivée ! s'exclame Max en sautant littéralement sur Isidore.

Les deux éclatent de rire. Ça lui fait du bien. Malgré les années, le fait qu'ils se voient moins et qu'ils ont toujours de moins en moins à se dire, la bande d'amis tient bon. Le groupe n'est plus aussi complice mais possède tellement de souvenirs communs qu'il est facile de rigoler ensemble. Avec le temps, c'est un peu devenu sa famille.

—   Les débiles au complet ! lance Alice avec enthousiasme.

Au collège et lycée, on les appelait « les débiles ». C'est un énième ex de Lili qui a lancé le nom de groupe, sur Messenger. Dans la bande, personne n'a vraiment décollé de chez ses parents, à part Lili qui fait des études de design à Nantes. C'est devenu difficile de la voir. Alice, elle, a fini sa formation d'infirmière il y a un an et taffe dans le bourg voisin maintenant. Sa petite Clio est très pratique pour les trajets. De leur côté, les mecs de la bande ont arrêté les cours pour l'art ou le sport officiellement, pour trouver un moyen de percer officieusement.

—   Joyeux anniv' en retard mec, mais on a un cadeau spécial, lui tend Paul V.

Isidore récupère un tupperware rempli à ras-bord de sachets en plastiques. Chaque pochon étiqueté est rempli à ras-bord de cannabis. Il n'en croit pas ses yeux !

—   Je suis allée aux Pays-Bas y a deux semaines, tu te souviens ? On a cotisé pour te ramener la meilleure beuh possible. T'as les variétés écrites sur chaque sachet, explique Paul V. hilare.

Avec son cercle proche, il ne peut s'empêcher d'être excité par ce cadeau. Avec Coline, Selim ou les gens en cours de bio, il aurait pris sur lui, se serait même jugé d'être aussi refait du geste de ses amis.

—   Mais vous êtes des baisés du cerveau ! J'vous adore ! s'esclaffe-t-il en les prenant dans ses bras.

Tous rient ensemble, louchent sur le butin, prêts à essayer la variété de Sativa préférée de Paul V.. Lili « aux doigts de fée » roule le joint sans poser de question. Chacun tire dessus, dans l'ordre des aiguilles d'une montre, comme ils ont l'habitude de faire depuis toujours.

—   Excellent, commente Isidore en sentant les effets apparaître petit à petit.

À partir de cet instant précis, le ventre vide, Isidore se sent en vie. Il doit avoir 15 ans max, pas 23. Quelqu'un rit... une des filles sûrement. Ça l'explose.

Le reste de la soirée ? Un mystère. Il sait qu'il est juste trop défoncé, incapable d'aligner deux mots. Les autres invités arrivent petit à petit. Isi' ne les connaît pas, ce ne sont pas ses potes. Il a soufflé ses bougies la tête ailleurs. Le monde faisait trop de bruit en chantant. Selim son quasi-frère a dû le prendre dans ses bras, il sait plus trop. À 1h quand les effets se sont un peu estompés, Isi' sait qu'il a discuté des heures et des heures avec Anatole sur le balcon, pour finir par en refumer une deuxième à deux. Coline est arrivée à 4 heures. Mais Isidore ne l'a su que le lendemain, s'étant endormi sur le lit des parents d'Anatole une heure plus tôt.

Un anniversaire classique en somme.

AïeWhere stories live. Discover now