51. On n'a pas besoin de héros

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Je voulais que le concours sélectionne les meilleurs, mais il n'a fait que sélectionner ceux capables de lui résister.

Car quel que soit leur destin, le concours enferme les Sysades.

Pour certains, le concours forme leur seul horizon, et une fois franchi, c'est comme s'ils avaient déjà accompli leur vie. Leurs amis, leurs familles ne peuvent comprendre l'ampleur de leur désillusion : découvrir, au sommet de la montagne, que d'autres se dressent au-delà, jusqu'à l'infini.

Pour d'autres, ceux qui échouent, leur vie ne sera désormais plus dictée que par cet échec ; leur pensée y reviendra souvent, car s'ils avaient travaillé plus dur, s'ils avaient choisi des matières différentes, n'auraient-ils pas réussi ? N'auraient-ils pas gravi ces cinq places qui manquaient à leur vœu ?

Ceux qui s'en sortent le mieux sont encore les médiocres, ceux qui n'ont passé la barrière que par un mélange de chance, d'entraide et de privilèges. Ceux-là sont les plus réalistes. Ils ne sont pas ce que je recherche ; mais c'est ce que j'obtiens. C'est ce qui m'entoure.

Hélas, moi-même, je ne peux décider, aujourd'hui ou demain, de mettre un terme à cette mascarade. Les dieux ne peuvent enfreindre leurs propres lois.

Journal de l'Archisade


Vardia appela Rizal plusieurs fois avant de se rendre compte qu'il s'était évanoui. Elle se précipita sur lui et entreprit de comprimer sa plaie à l'épaule. Ses mains étaient déjà poisseuses.

Vingt mètres plus loin, Mû tourna des talons et entra dans le cercle. Ses gestes étaient mécaniques, comme si elle luttait contre quelque chose.

« Attends ! » l'implora la Sysade.

Mais l'éclair bleu dans son regard, la volonté du Dragon, avait gagné la bataille.

Elle tendit le doigt vers la sphère de lumière ; un arc électrique en descendit, qui cheminait dans l'air par à-coups erratiques. Il tourna autour d'elle un court instant, hésitant, peut-être curieux, puis se connecta à sa main levée. Un flash lumineux figea sur place les sables du désert et les pierres endormies du ciel. D'ultimes étincelles mouraient tout autour du cercle. Mû avait disparu.

Elle cria de dépit.

Ils avaient lutté contre les Spirumains, contre Lôr, contre Zora, mais leur plus grande adversaire avait donc attendu le dernier moment pour se révéler : c'était Mû.

« Quelqu'un m'appelle ? »

L'ex-tueur tâta du bout du pied le corps de Zora, avec dégoût, puis s'approcha de Vardia d'un air nonchalant.

« Je ne suis pas sûr que tu arrives à le ranimer » constata-t-il.

Elle tendit vers lui une main menaçante, encore porteuse d'un fragment de cristal.

« Eh, doucement. Je suis juste là pour t'aider. »

Sans précipitation, Lôr déboutonna les manches de sa chemise et les remonta jusqu'aux coudes. Puis il se pencha sur le Paladin inconscient et l'agrippa par les épaules.

« C'est qu'il pèse lourd, le charmant bonhomme. Il doit avoir accumulé une bonne quantité de regrets.

— Où est-ce que tu vas ?

— Où est-ce que tu veux qu'on aille ? Il n'y a qu'une seule direction possible. »

Interloquée, Vardia le vit entrer dans le cercle.

Le Silence de MûWhere stories live. Discover now