49. Jamais plus de douze

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Tous savent que je suis meilleure qu'eux, mais ils ne comprennent pas à quel point. C'est pourquoi il m'arrive de l'oublier moi-même. Je me réveille certains jours en pensant à l'Université ; je peine à voir ce qui a changé depuis, et les raisons qui auraient fait de moi, subitement, l'Archisade.

Journal de l'Archisade


« Tu vois, elle avait raison » dit la femme.

Ils n'étaient pas camouflés comme sur Avalon. Leurs armures noires, faites de plaques et d'écailles luisantes, et leurs visages pâles au nez presque absent, se fondaient parfaitement dans ce décor de contrastes incolores.

Des griffes de métal chuintèrent de leurs poings gantés.

Rizal laissa tomber son sac de voyage, prit son sabre à deux mains et s'avança d'un pas.

« Où est-elle ?

— Vous ne pourrez pas la voir, dit Trije. Nous avons passé un accord avec votre Archisade, qui nous bénéficie à tous.

— Un pas de plus et vous le regretterez, ajouta Fjouwer. On vous écrasera comme on l'a fait sur Avalon.

— Nous n'avons pas besoin de nous battre, insista Trije. Nous sommes cousins. Humains de part et d'autre. Deux humanités fragiles qui peuvent s'entraider, qui doivent coexister si nous voulons survivre...

— Par pitié, Trije, fais-moi plaisir et arrête avec tes conneries. Tu vois bien qu'ils ne captent pas. Ils sont venus pour nous faire la peau. »

Fjouwer avait peut-être dix ans de plus que Rizal, peut-être dix de moins, c'était difficile à dire. Son crâne chauve était lisse, d'une couleur d'œuf bouilli, mais son front était encombré de plis.

« Vous étiez censés être trois, remarqua-t-il. Où est la dernière ? Tuée dans son sommeil par un aspect de Lôr ? »

Rizal choisit de ne pas répondre.

Ils auraient eu tant de choses à se dire, autour d'une table, ces quatre représentants d'humanités voisines ; pourtant il était inévitable que l'acier et le cristal se rencontrent. De même que la discussion du Grand Conseil, au même moment sur Avalon, ne pouvait mener à rien.

« Vardia, si tu vois une opportunité, fonce. Ils sont là pour nous ralentir, c'est donc que Maria est tout près.

— Je sais. Je la vois sur les logs. Le Processus Mû... quelqu'un d'autre est avec elle.

— Lôr ?

— Je n'en sais rien. Son identifiant a été camouflé. »

Le Paladin se risqua à un coup d'œil en coin ; il se dit que le manteau noir de Sygile lui allait bien. Ses cheveux blonds avaient pris un peu de cendre et de poussière, et l'air sec du Foyer semblait les avoir décolorés.

« Allons-y. »

Il ne fit qu'un seul pas et sa lame se heurta sur l'armure de Fjouwer. Le Spirumain n'avait cherché ni l'esquive, ni le geste, seulement le choc. Alors que ses griffes glissaient sur la partie métallique de Brise-Muraille, un sourire de requin découvrit ses dents blanches acérées.

Trije réagit avec quelques secondes de retard. Forcée de se joindre à l'assaut, elle se jeta sur Vardia avec beaucoup moins d'entrain, les poings fermés, dans le but de l'intimider et de la faire reculer. Mais la Sysade ne broncha pas, jusqu'à ce que le gantelet noir fonde en direction de son menton ; elle l'arrêta au vol.

Le choc fit un bruit de tambour ; Trije fit un saut de côté et retomba sur ses pieds, le bras tremblant ; les articulations des doigts s'étaient vrillées et l'empêchaient d'ouvrir la main.

Le Silence de MûWhere stories live. Discover now