La Diagonale du Fou

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Milan pensait à Célia. Il ne craignait guère pour sa santé, il la savait assez forte pour se remettre du choc psychique récemment subi. Elle ne tarderait pas à sortir de son coma, il en était convaincu.

Mais ce soir, alors qu'il se préparait à prendre en chasse le Croque Mitaine, elle lui manquait. Pas seulement pour sa force de frappe mentale. Pour son enthousiasme. Célia était toujours partante. Elle jouait si volontiers à ses jeux qu'il pouvait en abuser. Bien sûr, elle ne manquait pas de le gratifier d'un reproche, ou de lever les yeux au ciel, voire de le blâmer pour lui avoir dissimulé des éléments. Et pourtant, elle ne refusait jamais d'affronter ses énigmes. Au fond, cela lui plaisait.

C'était peut-être cela, le fondement de leur relation, encore plus que les sentiments qui les liaient : depuis le début, ils avaient joué les funambules sur le fil de la réalité. Célia pouvait lire dans les pensées de Milan, et pourtant elle acceptait de ne pas le faire. Il acceptait de vivre avec cette menace au-dessus de sa tête, comme un équilibriste jouant avec sa vie. Tandis que de son côté, elle acceptait les termes du jeu qu'il menait, de manière infatigable.

Si elle avait été présente, ce soir, Milan lui aurait glissé innocemment :

"Et si je te disais que je sais qui est le Croque-Mitaine ?"

Ou plutôt, non, il aurait dit :

"Et si je te disais que le Croque-Mitaine est l'un des membres de l'équipe de Pavnic ?"

Célia serait tombée des nues, avec ce petit air adorable auquel même un vampire séculaire ne pouvait résister.

"Le Croque-Mitaine est un membre de l'équipe de Pavnic !?" aurait-elle répondu en s'exclamant de surprise.

"Qui d'autre ?"

Célia lui aurait décoché une de ses grimaces remplie de fausses menaces, pour lui reprocher d'avoir dissimulé ses déductions. Il aurait fallu qu'il déroule ses arguments, qui pourtant semblaient une évidence, depuis le début. Ce qu'elle aurait fini par reconnaître, en rassemblant elle-même les indices.

Après quoi, Milan lui aurait posé sa seconde question, encore plus amusante :

"Quel membre de l'équipe, à ton avis ?"

Stefan Pavnic, le boss ? Evgenia Klobber, la marâtre ? Irina Loubrovna, l'ingénue ? Ou encore Vasile Dumitru, le sporadique ? (le kinésithérapeute paraissait peu probable à ses yeux)

Le plus drôle, c'est que Milan l'ignorait lui-même... enfin, il avait sa petite idée, mais c'était un pari qui demandait vérification.

Et ce soir, il découvrit qu'il avait vu juste.


Subitement, le Croque Mitaine se matérialisa devant lui.

Ce mouvement là, Milan ne s'y était pas attendu. Le Croque-Mitaine n'avait pas cherché à se défiler, il attaquait directement. Milan se retrouva face à la silhouette enflée d'une créature qui n'avait rien d'un homme, même si elle était enveloppée de loques comme aurait pu l'être un pauvre hère.

Il n'eut pas le temps de réagir, il fut projeté contre la paroi en arrière. Ils se trouvaient au premier sous-sol, et les murs étaient conçus de béton brut. Ce fut lui qui subit le choc, la paroi quant à elle émit à peine un grincement. Milan tenta de riposter, mais le Croque-Mitaine se jeta sur lui et l'étrangla entre ses moufles décharnés. Son visage entièrement couvert de mailles de laine, incluant ses yeux, se rapprocha, en exhalant une odeur de pourriture qui prit Milan à la gorge. S'il en fallait plus pour le déstabiliser, en revanche, les asticots qui dégringolaient par les orifices dans les mailles de la laine achevèrent de le surprendre. 

Milan Lazsco : La Dette [E4 Quadrilogie du vampire] en  coursWhere stories live. Discover now